
Le spécialiste de la distribution de prospectus est entré dans la lumière en raison de sa gestion désastreuse du matériel de « propagande électorale ». Les conditions de travail y sont dénoncées depuis longtemps et les condamnations s’enchaînent
Le récit est malheureusement banal pour qui connaît les conditions d’emploi des intérimaires dans certaines entreprises françaises. Mais le contexte et le nom de l’employeur final le sont bien moins. Dans le cadre d’un petit boulot tout récent, Sophia* (son prénom a été modifié) s’est plaint auprès de Mediapart d’avoir été payée bien moins d’heures que celles qu’elle a réellement effectuées, pour cause de badgeuse régulièrement déficiente et de non-prise en compte de certaines opérations de préparation, nécessaires pour effectuer son travail.
Malgré des réclamations régulières auprès de divers responsables, la jeune femme n’a pas encore obtenu de réponse satisfaisante et elle envisage de saisir les prud’hommes si la situation n’est pas régularisée dans les prochains jours.
Une situation relativement classique mais qui fait dresser l’oreille lorsqu’on comprend que Sophia a travaillé ces dernières semaines chez Adrexo pour distribuer la « propagande électorale » (les professions de foi et les bulletins de vote) de plusieurs candidats aux élections régionales et départementales, dont le premier tour s’est déroulé dimanche 20 juin. Elle a déjà prévu de travailler pour le second tour, de mercredi 23 à samedi 26 juin. (...)
Depuis plusieurs jours, Adrexo est au cœur de multiples accusations d’avoir mal fait le travail pour lequel il avait été désigné : d’innombrables citoyens n’ont pas reçu l’enveloppe électorale qui leur était destinée, des courriers ont été retrouvés entassés sur des boîtes aux lettres, dispersés dans des poubelles ou dans la nature, voire… brûlés en lisière de forêt.
Les ratés ont été récurrents. Une lecture de la presse régionale permet d’en trouver la trace en Haute-Loire, en Maine-et-Loire, dans le Pas-de-Calais, dans le Cantal ou en Indre-et-Loire, dans le Cher ou les Ardennes.
« La défaillance du service public national des élections est inacceptable et ne peut qu’alimenter l’abstention », avaient prévenu le 19 juin l’Association des maires de France, l’Assemblée des départements de France et régions de France, suivies par presque tous les responsables politiques nationaux. Un exemple éclatant des conséquences délétères que peut revêtir l’externalisation des actions de service public, récemment dénoncées par le collectif de hauts fonctionnaires Nos Services publics.
Appartenant au groupe Hopps, qui détient aussi Colis privé, et revendiquant 18 000 salariés, Adrexo a été la première entreprise privée à remporter des marchés de distribution de matériel électoral officiel, en mars. En théorie, cette possibilité avait été ouverte en 2005, mais La Poste en avait conservé le monopole jusque-là. (...)
Ce lundi 21 juin, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a convoqué l’entreprise, ainsi que La Poste, qui continue a travailler pour les cinq régions restantes, pour la sermonner. « Il leur a rappelé l’obligation de résultats qui les liait. Il leur a demandé expressément de garantir que de tels dysfonctionnements ne se reproduisent pas pour le second tour », indique le ministère dans un communiqué. Le ministre a aussi averti que « tous les enseignements des erreurs commises seront tirés au lendemain du second tour de ces élections ».
Pour cette semaine, les préfets superviseront la mise sous pli et la distribution de la propagande électorale et « une cellule opérationnelle de suivi de la distribution » sera mise en place, avec un point sur la situation « réalisé deux fois par jour […] pour traiter dans les plus brefs délais les incidents signalés ». (...)