
(...) En quelques pages, revenant sur son expérience d’il y a presque un demi-siècle, Charles nous livre une contribution sans doute bien plus importante que n’ont pu le faire bon nombre de livres académiques ou savants de philosophie ou sociologie politique sur la nécessaire révolution sociale à accomplir. Dans un style accessible au plus grand nombre, sans faire référence à des concepts charabiatesques dont se font une spécialité bon nombre de penseurs, Piaget démontre la radicale égalité de chacun·e dans le cadre d’une lutte collective, pour être des vecteurs et des vectrices de la transformation sociale et d’émancipation.
Loin de nier l’existence et l’utilité de formes organisées (les partis – il fut lui-même encarté au Parti socialiste unifié(PSU) – ou des syndicats – il était le leader incontesté de la CFDT de l’entreprise), il rappelle que si ces dernières peuvent proposer des initiatives, mettre à disposition des informations et des moyens d’élargir une lutte, la seule option possible pour envisager un succès social (et Lip 73 constitua une immense victoire sociale : zéro licenciement, puis loi d’indemnisation du chômage), c’est de faire confiance, s’appuyer sur la mobilisation la plus large du collectif. La fameuse autogestion (même si le terme ne figure pas dans le livre qu’on va lire) qu’on a accolée à la lutte des Lip réside là, dans la plus totale implication de tous et toutes, dans la volonté de mettre en œuvre la démocratie la plus large, dans l’implication et l’ouverture de la lutte. Certains ne l’ont pas compris à l’époque, et ne l’ont toujours pas admis aujourd’hui, imprégnés qu’ils sont d’un paternalisme et d’une méfiance instinctive à ce qui échappe contrôle du syndicat et du parti. Tout au contraire cette émancipation en acte, ces idéaux et perspectives étaient portés par Charles, ainsi que de nombreux acteurs et actrices de cette lutte.
Cela s’est traduit par le soutien et la mise en œuvre de l’auto-organisation des travailleur·euses dans la mobilisation, mais aussi par le développement d’une auto-activité ouvrière, encore plus radicale, par la remise en route, partielle certes, de l’outil de travail sous la direction immédiate de ceux et celles qui produisent. De là vient le fameux slogan éponyme de la lutte des Lip : « On fabrique, on vend, on se paie ». Ces pratiques, ces ambitions, ces valeurs ont été mises en acte durant les mois qu’a duré le conflit. (...)