
C’est le nouveau projet de loi pour lutter contre la précarité des 5,1 millions de personnes sans emploi : France Travail. Au programme : contrôle global des usagers et RSA conditionné à des heures de travail obligatoire.
« C’est une bombe à retardement ». Il y a peu de chance que le nouveau projet de loi sur l’insertion professionnelle réussisse à « apaiser » la contestation sociale. Cette « bombe », que redoute Florent Lefebvre de la CFDT Pôle Emploi sera amorcée le 1er janvier 2024. Elle porte le nom de France Travail. Le ministre du Travail Olivier Dussopt y voit de son côté une « équipe de France de l’insertion ». Il vient de recevoir sur son bureau un rapport du haut-commissaire « à l’Inclusion dans l’emploi et l’engagement des entreprises », Thibault Guilluy.
Ce rapport détaille 98 propositions pour « atteindre le plein emploi et permettre l’accès de tous à l’autonomie et la dignité par le travail » [1]. Les contours réels du projet demeurent cependant flous « On ne sait pas à quelle sauce on va être mangé », s’inquiète Florent Lefebvre.
Une plateforme unique et... obligatoire
L’objectif affiché semble consensuel : parvenir au plein emploi d’ici 2027 ! La méthode risque de l’être beaucoup moins. Il s’agit d’identifier grâce aux réseaux sociaux ou à du porte-à-porte, les 5,1 millions de personnes « hors radars » qui ne seraient pas « au travail ». Ainsi repérés, ces privés d’emploi devront obligatoirement s’inscrire sur le portail numérique France Travail. Cette plateforme commune réunira tous les acteurs de l’insertion professionnelle, sans les fusionner. Finies les missions locales pour l’insertion des jeunes notamment, ou Cap Emploi pour les personnes en situation de handicap. Les usagers seront orientés vers France Travail, l’opérateur unique en insertion professionnelle.
Le partage des données entre les acteurs publics permettra d’assurer un « diagnostic à 360° » de la situation de l’usager, censé mieux l’orienter. Un guichet unique, c’est « peut-être une bonne idée en soi, reconnaît Florent Lefebvre. Mais son caractère obligatoire laisse songeur ». Avec un probable effet induit : « Si tous les bénéficiaires du RSA doivent s’inscrire, cela risque de faire monter les chiffres du chômage ».
France Travail, « l’outil RH de la Start-up Nation » (...)
France Travail, ce sera également un budget de 2,5 milliards d’euros. Quelle part sera allouée au recrutement et à la formation de nouveaux conseillers chargés d’accompagner les publics les plus éloignés de l’emploi ? Les agents de Pôle emploi se disent déjà « horrifiés » par les récentes réformes, rendant encore plus difficile l’accompagnement d’un nouvel afflux d’usagers. « Les moyens ne sont pas encore définis », évacue l’antenne régionale de Pôle Emploi dans l’échange interne consulté par basta !. (...)
la radiation ou la suspension partielle de son allocation menace. Indulgent, le rapport prévoit une « progressivité des sanctions » avec un système dit de « suspension – remobilisation ». Une version néo-managériale de la carotte et du bâton.
Même l’initiateur du RSA, Martin Hirsh, s’est montré sceptique. « Transformer un allocataire en main d’œuvre sans droit est une régression sociale », a tancé l’ancien Haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté et à la Jeunesse, tout en saluant les parcours d’aides à la réinsertion. Martin Hirsh « oublie un peu vite qu’il est à l’origine du service civique », cingle à son tour Agnès Aoudai, de la CGT Pôle Emploi. Ce dispositif est parfois pourvoyeur de main d’œuvre bon marché. (...)
Certains allocataires pourraient être exemptés de ces heures de travail obligatoires en cas « d’empêchement légitime », est-il écrit dans un document interne à Pôle Emploi. Sauf qu’« on n’a pas de définition de ce que peut être un empêchement légitime », glisse un destinataire du dossier. S’agit-il des personnes atteintes de maladies ou d’addiction, comme l’avait suggéré Élisabeth Borne ? De nombreuses autres difficultés impactent le quotidien des allocataires du RSA. En milieu rural par exemple, se déplacer implique des coûts ou tout simplement d’avoir un moyen de transport. (...)
Vers des « périodes d’essai gratuites » pour les employeurs ?
Le document interne circulant au sein de Pôle Emploi l’explicite noir sur blanc. Les bénéficiaires du RSA devront « assurer une réponse aux besoins de recrutement des employeurs et entreprises du territoire ». (...)
« Généraliser le travail obligatoire n’aura d’autres effets que tirer inévitablement les salaires vers le bas », alerte la fédération CGT organismes sociaux. C’est ce que proposait le Medef en 2014 en voulant« réintégrer dans les entreprises les populations très loin de l’emploi », et, sous prétexte de réinsertion, en les payant un salaire inférieur au Smic, complété par le minima social. Neuf ans plus tard, Emmanuel Macron le met en application, le salaire en moins.
20 heures de travail semaine pour 600 euros par mois ? (...)