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Avec leurs tags, les gilets jaunes "redeviennent souverains en s’appropriant l’espace public"
Article mis en ligne le 1er février 2019

Pour l’historienne Mathilde Larrere, les tags des gilets jaunes nous éclairent sur les ramifications historiques de ce mouvement insaisissable.

Ils écrivent sur les murs les noms de ceux qu’ils haïssent. Oscillant entre les traditionnels "Macron démission" et autres "chômeuses go on", les graffitis politiques, aussi historiques que poétiques, fleurissent sur les bâtiments des plus grandes villes de France depuis le début de la fronde des gilets jaunes. Héritage de la mouvance anarchiste, ces inscriptions livrent de nombreux enseignements sur un mouvement social hétéroclite et spontané devenu l’un des événements politiques majeurs de ce début de XXIe siècle.

Jadis "parole éphémère", ils trouvent désormais une seconde jeunesse sur les réseaux sociaux. Le compte Twitter "la rue ou rien", actif depuis 2016, recense notamment ces "messages politiques aperçus dans l’espace public" tout au long de ces semaines de contestation. L’historienne Mathilde Larrere, spécialiste des Révolutions fait également partie de ces nombreux internautes qui relaient ces tags, forme selon elle "de poésie urbaine" au service des revendications du mouvement. (...)

"Cela a toujours existé dans les mouvements sociaux, en 1877 par exemple, en pleine crise du régime, on écrivait "Vive la Commune", "Vive 1793", on trouvait à la même époque des tags féministes ou autres. On sait qu’il y en a eu pendant la Révolution française. Des sources évoquent ces graffitis mais nous en avons que peu de traces. Mais à partir du milieu du siècle le graffiti politique est pénalisé. Il y a donc toute une histoire des tags politiques mais qu’on commence uniquement à percevoir à partir du moment où la police les recopie dans ses procès verbaux et que l’historien y a accès." (...)

Si le tag ne date pas d’hier, on observe une recrudescence de ces messages muraux par rapport aux récents mouvements sociaux. Comment peut-on expliquer l’appétence particulière des gilets jaunes pour les graffitis ?

J’ai l’impression que le graffiti est surtout revenu depuis les mouvements en opposition à la loi Travail et Nuit Debout via la mouvance anarchiste. Après, cela s’est diffusé. Pour le mouvement des cheminots et contre parcours sup au printemps dernier il y a également eu une caisse de résonance du cinquantenaire de Mai 68 parce que les tags sont maintenant muséifiés. Il y a une donc sorte de contraste entre les critiques qui sont faites aux tags actuels et la valorisation des anciens au point d’en faire des affiches accrochées dans des salons bourgeois. Le mouvement des gilets jaunes hérite de tout ça. (...) Personnellement je ne relaie que les inscriptions qui évoquent la culture de gauche ou d’extrême gauche que je partage. Le tag n’est plus trop dans la culture d’extrême droite, en revanche certaines inscriptions sur les gilets sont beaucoup plus à droite que les messages que je partage.(...)

Au delà de la culture anarchiste, on trouve des moments d’usage particulier du tag politique : ainsi dans les années 1960 avec notamment la guerre d’Algérie qui était une véritable guerre des murs entre l’OAS et le FLN. Le tag du lendemain du 17 octobre 1961 "ici on noie les Algériens" est très important dans l’histoire des graffitis politiques. En mai 68 il y aussi de nombreuses inscriptions situationnistes (Jouissez sans entraves).

Quelles sont les références historiques les plus fréquentes dans les graffitis actuels ?

Dans les mouvements précédents, la Commune de Paris était très présente. Chez les gilets jaunes, c’est plutôt la Révolution de 1789 qui revient beaucoup (...) Il n’y a pas de référence à 1936 non plus alors qu’il y aurait aussi des choses à en tirer. (...) la Commune n’est plus dans les programmes scolaires, elle se diffuse par la transmission de la mémoire militante dans le cadre familial ou partisan, au contraire de la Révolution française. Toujours enseignée à l’école, elle est beaucoup plus partagée, beaucoup plus connue. (...) Dans le dos des gilets jaunes, il y a souvent trois dates : 1789, 1968 et 2019 (ou 2018).(...)

Que nous disent ces graffitis de l’état d’esprit et de l’idéologie des gilets jaunes ?

Sur les références à 1789, c’est la prise de conscience de la nature monarchique de la Constitution de la Ve République. Ça c’est évident et ce n’est pas neuf. On a ça dès le début avec un de Gaulle souvent caricaturé en Louis XIV. On avait peut-être un peu perdu cette critique mais elle revient. (...)

En fait, tout cela dit la volonté d’un peuple de redevenir souverain. Il le redevient en se référent à l’époque historique où il a été souverain pour la première fois de sa vie en 1789. Il redevient souverain en s’appropriant l’espace public, c’est aussi ça qui s’exprime quand on braconne l’espace public par un tag.

Ça témoigne aussi d’une volonté jusqu’au-boutiste ?

Non, ce n’est pas du jusqu’au-boutisme, ça ne mange pas de pain d’écrire sur les murs. Les gens poussent des cris terribles parce qu’il y a écrit sur une banque "Moins de banquier plus de banquise". Mais enfin, on ne la fait pas sauter cette banque, il n’y a pas de séquestration. C’était ça Action Directe dans les années 70, il ne faut pas l’oublier. (...)

Il y a quand même des violences et des dégradations...

Pour avoir travaillé sur des révolutions du XIXe siècle, ils sont vraiment gentils. C’est le sentiment que j’ai, ce n’est pas une critique mais ce qui est terrible c’est le portrait qu’on en dresse. Celle d’une foule haineuse etc. Mais enfin, une foule qui veut attaquer, ça peut être bien pire. (...)