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« Avec moi » (le 7 mai) Réponses d’un castor à dix objections à propos du « vote barrage »
Article mis en ligne le 1er mai 2017

Les lignes qui suivent viennent d’un étonnement, d’un malaise et d’une inquiétude : alors qu’au soir du 21 avril 2002, avec un Le Pen pourtant bien plus bas, toute la gauche appelait immédiatement à un « vote barrage », des Verts à la LCR en passant par le PS, le PRG et le PCF (à l’exception donc de Lutte ouvrière), voici qu’aujourd’hui, avec un FN annoncé à 40% à quinze jours du second tour, le NPA et la France Insoumise rallient la grille d’analyse et le positionnement de Lutte ouvrière, en refusant d’appeler au « vote barrage ». Une large campagne est même lancée, notamment sous le slogan « Sans moi le 7 mai », et je vois depuis plusieurs jours défiler des articles, des interviews, des tweets, des statuts Facebook, des sarcasmes, des arguments, et une foule de documents destinés à nous alerter sur le danger Macron – comme si telle était la priorité des deux semaines à venir. Plus les jours passent, moins cela cesse et plus je trouve cela préoccupant. Loin de m’apparaître comme un progrès, ce refus largement répandu du « vote barrage », et plus encore la consécration de ce refus au sein des appareils NPA et France Insoumise, me laissent plus que perplexe

Des castors comme des « sans moi le 7 mai », on peut toujours dire qu’implicitement ils ou elles « font la leçon » à toutes celles et ceux qui ne partagent pas a priori leur position. Et on peut d’ailleurs dire exactement la même chose de celles et ceux qui s’expriment pour « refuser toutes les injonctions », dénoncer tout le « tintamarre » et appeler à « laisser les électeurs de gauche se décider seuls » – car cela aussi est un point de vue qui, du seul fait qu’il est exprimé et diffusé, se présente implicitement comme « le plus juste », et peut donc être qualifié d’injonction (au silence) et d’arrogante « leçon » (à l’égard de celles et ceux qui au contraire jugent nécessaire la confrontation publique des appels au vote ou à l’abstention, et la confrontation des arguments).

En d’autres termes : je veux bien admettre que toute argumentation en faveur du « vote barrage » implique la prétention de défendre l’option la plus juste, et qu’elle peut donc être ressentie comme arrogante voire offensante par quiconque n’est pas d’accord a priori, mais c’est le cas aussi, ni plus ni moins, pour toute expression en faveur de l’abstention ou du vote blanc, et pour toute expression en faveur d’un silence respectueux « des choix de chacun-e » et d’un arrêt des échanges d’arguments. Si donc on reproche à tout castor défendant son choix, exposant ses arguments et cherchant à convaincre, de « culpabiliser » et d’exercer un « chantage » en laissant entendre qu’on est fasciste, complice objectif ou complaisant avec le fascisme dès lors qu’on ne vote pas Macron, alors il faut reprocher aussi à tous les « sans moi » de vouloir culpabiliser et exercer un chantage en laissant entendre qu’on est un gogo, un agent ou un idiot utile de la barbarie néolibérale dès lors qu’on donne son suffrage à Macron. Et il faut enfin adresser le même reproche aux adeptes du « stop aux consignes, aux appels, aux injonctions » qui laissent entendre qu’on est arrogant et irrespectueux de l’autre dès lors qu’on expose publiquement son choix et ses raisons.

Pour ma part j’en conclus que « l’arrogance des injonctions » est une fausse question. Cette thématique me paraît être la plupart du temps un artifice rhétorique, un subterfuge, un moyen de disqualifier autrui en esquivant le vrai débat, sur le fond : car ce n’est pas le principe de l’exposition publique d’un point de vue qui pose en réalité problème (puisque tout le monde la pratique, et en a tout à fait le droit) mais bien la teneur précise de certains points de vue. (...)

Première objection : « Macron c’est pire, en tout cas pas mieux, que Le Pen ».

J’ai honte de rappeler une telle évidence mais à lire nombre de prises de positions, elle me paraît depuis quelques jours avoir perdu singulièrement de son caractère d’évidence : Macron n’est pas Le Pen. Macron c’est atroce, c’est la politique du patronat, la « valeur travail » contre « l’assistanat », la chasse aux « faux chômeurs », bref un « Marche ou crève » avec sourire Colgate, mais le discours et le programme de la millionnaire-née Marine Le Pen, en dehors de quelques « éléments de langage » purement incantatoires qui se prétendent « sociaux », contre « la finance », en faveur du « peuple », propose fondamentalement la même chose : politique du patronat, « valeur travail », chasse aux « assistés » – avec un sourire Colgate un peu plus carnassier, et une tendance bien appuyée à laisser entendre que les assistés et autres profiteurs ont une origine ou une religion exotique. Sans oublier cette gravissime subversion du principe d’égalité, que manifestement plus grand monde ne juge utile de dénoncer, dans le débat mainstream comme dans les débats internes à la gauche dite radicale : la « préférence nationale » – c’est-à-dire ni plus ni moins que la mise à mort économique des résidents étrangers et de leurs familles.

Macron c’est aussi le soutien à Israël, mais Le Pen aussi, et pas moins, avec en prime un soutien franc et massif à Bachar El Assad (et dire cela, je le précise, ne signifie pas une grande confiance accordée à Macron pour aller, contre Assad, au-delà des condamnations verbales).

Macron ne propose rien contre le racisme et la discrimination massive et violente qui règne dans cette république : Le Pen propose quelque chose, les étendre et les institutionnaliser.

Macron prône la « tolérance zéro » face à petite délinquance, Le Pen le fait aussi, dans une version bien plus brutale. Macron ne dit presque rien contre les abus policiers et leur impunité, Le Pen soutient publiquement le violeur de Théo et préconise d’inscrire dans le marbre de la loi une présomption de légitime défense pour la police, c’est-à-dire d’absolutiser la quasi-impunité de fait dont jouissent les abus et homicides policiers.

Macron prône la « maîtrise des flux migratoires » (et on sait quelle atrocité recouvre cette novlangue) : Le Pen a annoncé un « moratoire total sur l’immigration » (ce qui, en novlangue raciste d’Etat, nous renvoie un seuil supérieur dans l’atrocité).

Macron a déclaré « comprendre la souffrance » des homophobes de la « Manif pour tous » : Le Pen annonce une abolition du mariage pour tous.

Macron tient un double discours sur la colonisation, « crime contre l’humanité » mais avec des « aspects positifs » : Le Pen en tient un seul, sur les aspects positifs.

L’appareil de Macron est masculin, blanc, riche, ultra-capitaliste, sans foi ni loi : celui de Le Pen est masculin, blanc, riche, ultra-capitaliste, sans foi ni loi et fasciste, pote avec des Serge Ayoub.

Je pourrais poursuivre à l’infini, et invoquer aussi la situation des villes gérées par le FN, en particulier pour les non-Français ou les Français non-blancs, mais j’ai honte de devoir rappeler des évidences.

Deuxième objection : « Je sais que Le Pen c’est pire mais autant avoir le pire, au moins il y aura un sursaut ».

Comment peut-on croire cela ? Un sursaut de qui ? Je ne vois rien dans l’histoire de ce pays qui puisse le laisser penser (...)

Troisième objection : « Je sais que Le Pen c’est pire mais au moins avec elle tout le monde va en chier, et plus seulement les pauvres, ou les non-blancs ».,

Cette position me parait aussi délirante que les précédentes : tout, des origines du Front national aux plus récentes déclarations de Le Pen, des discours télévisés au meetings, du programme à la composition de l’appareil militant, en passant par les motivations revendiquées par l’électorat, nous indique que les étranger-e-s, les immigré-e-s, les Françai-se-s non blanc-he-s, les musulman-e-s, les Roms, les chômeurs et autres « assisté-e-s », sont les premières cibles. (...)

Je ne suis pas exhaustif : on pourrait parler des femmes et des homos. Malgré leurs mines inquiètes (parfaitement simulées) et leur antilepénisme de circonstance (parfaitement opportuniste), les Valls, Hollande, BHL, Fillon ou Estrosi savent au fond très bien qu’ils n’ont pas grand chose à redouter d’une présidence Le Pen, qui ne toucherait pas à leurs privilèges. Macron lui-même, passée l’amertume de la défaite, n’aurait rien de sérieux à craindre d’un pouvoir lepéniste.

Quatrième objection : « Je sais que Le Pen c’est pire, mais c’est une menace fantoche : elle ne sera jamais élue, alors que Macron c’est le mal qui va vraiment nous tomber dessus ».

Marine Le Pen est annoncée pour le moment à 40%, donc a priori ce n’est pas pour cette fois, sauf que... si l’on estime que le « sans moi le 7 mai » est autre chose qu’une posture aristocratique, j’entends par là un droit moral qu’on s’accorde tout en laissant des camarades ou des concitoyens se compromettre dans un vote « salissant » pour le « moindre mal » (donc le « mal nécessaire »), on accepte alors l’idée que tout l’électorat de gauche, antiraciste, antifasciste, possède un droit égal au « sans moi » (par méfiance, dégoût ou refus de légitimer Macron), et donc à l’abstention. (...)

A mes yeux c’est un calcul très hasardeux, pour ne pas dire plus – a fortiori après le ralliement officiel de Dupont-Aignan en faveur de Marine Le Pen. Personnellement je sais que je vis dans un pays gangrené par le racisme, l’autoritarisme et les tentations fascistes, et je ne m’aventurerai jamais à compter sur mes compatriotes de droite ou du centre – et même de gauche – pour me préserver, moi et les miens.

Par ailleurs, quand bien même les reports de Fillon, du PS et de quelques castors récupérés chez les abstentionnistes du premier tour suffiraient cette fois-ci à faire barrage à la candidate fasciste, est-ce indifférent en termes de lepénisation des esprits, d’avancée du racisme, du sexisme, de l’autoritarisme, des politiques antisociales, d’avoir le 8 mai prochain une Le Pen maintenue à 25% ou moins (comme son père en 2002) ou une Le Pen approchant les 50% ?

Première hypothèse : ça ne change rien.

Deuxième hypothèse : il vaut mieux une Le Pen écrasée, fût-ce au prix d’un Macron triomphant à 70% ou 80%.

Troisième hypothèse : il vaut mieux un Macron élu de peu, à 52%, fût-ce au prix d’une Lepen à 48%.

Libre à chacun-e de soutenir l’une ou l’autre des options, mais pour ma part je pense qu’en termes de climat politique, social, idéologique, et notamment en termes de passages à l’acte racistes dans la société civile, ce qu’il y a à perdre avec une Le Pen battue de justesse, et qu’il y a à gagner avec une Le Pen écrasée, est immense, et d’une importance extrême. Demandez, si vous même vous n’avez pas été en situation de le vivre, ce que sont les lendemains d’élections municipales gagnées par le FN quand on n’est pas blanc, ce que sont les regards, les propos entendus.

Ces violences quotidiennes existent déjà, bien sûr, et les cartons électoraux du Front national ne sont pas les seules occasions de leurs montées en puissance : pour les femmes musulmanes portant le foulard, par exemple, l’actualité internationale, ou celle du terrorisme sur le territoire français, en fournit déjà d’autres, tout à fait consensuelles et républicaines. Sous bien d’autres formes encore le racisme est déjà là, les discriminations sont continues, massives, impunies, et ce n’est pas un pouvoir FN qui les a installées. L’égalité de traitement est loin d’être conquise, mais il y a malgré tout quelques acquis, quelques droits, quelques ressources, qui peuvent encore être perdus : le programme du FN nous le rappelle. Les années Chirac, Sarkozy, Hollande-Valls, nous l’ont elles aussi montré : on peut toujours avoir pire.

Quant au risque invoqué de « légitimer Macron », et donc de le renforcer, et donc de se désarmer face au « véritable ennemi », celui qui va être vraiment « au pouvoir » pour les cinq prochaines années, en lui offrant un score triomphal, et en lui signant ainsi « un chèque en blanc » pour sa politique antisociale, il me paraît infondé. (...)

En bref, il est assez évident que Macron élu mènera de toute façon une politique dégueulasse, antisociale, qu’il soit élu élu triomphalement (auquel cas il paradera et se posera en gentil papa de tous les Français) ou de justesse (auquel cas le gentil menteur rebondira en nous expliquant que cela prouve qu’il a eu un vote d’adhésion). Il mènera sa politique dégueulasse, qu’il soit populaire ou impopulaire – il y a des précédents : Hollande, Chirac, Sarkozy... Le reste n’est pas écrit et dépend de chacun-e : quelles résistances va-t-il affronter ? (...)

Par ailleurs, Macron étant comme Sarkozy (et comme Chirac, et comme Hollande) un homme sans foi ni loi (autre que celle du marché, du profit et de l’intérêt personnel), il me parait assez raisonnable de supposer que son niveau de racisme dépendra du niveau d’attractivité politique du racisme. Pour le dire autrement, on peut supposer que le niveau de lepénisation impulsée par le président Macron, au moins dans les premiers mois de son mandat (le reste étant de toute façon plus incertain, et de moins en moins lié au score du 7 mai) sera à peu près proportionnel au score de sa concurrente. Il me paraît probable, quel que soit son score, que le président Macron nous sortira des campagnes infâmes sur l’Islam (pardon : le « communautarisme » et la « radicalisation »), qu’il nous dira qu’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, qu’il décrétera la « tolérance zéro » contre « l’insécurité et l’incivilité », mais la fréquence, l’ampleur et la violence des offensives dépendra entre autres du « poids » de ces « demandes » dans « l’opinion », qui chez Macron et ses semblables ne se mesure pas ailleurs que dans des sondages et des scores électoraux du FN. Tout faire pour abaisser ce score, y compris voter Macron, ce n’est donc pas lui faire allégeance, lui signer un chèque en blanc ou un certificat d’antiracisme, ce n’est même pas le transformer ou le réformer : ce n’est ni le croire ni le rendre antiraciste, mais simplement dévaluer autant que possible, à ses yeux cupides, le cours de la monnaie raciste. (...)

Cinquième objection : « Je sais que Le Pen c’est pire, mais même élue elle n’aura pas de majorité parlementaire et ne pourra rien faire, alors que Macron aura les moyens de sa sale politique »

Cet argument aussi me terrifie. Comment peut-on être si sûr ? Et quand bien même, ne voit-on pas les dégâts sociaux que causerait de toute façon une telle situation, en premier lieu, là encore, pour « l’immigration » – c’est-à-dire les étrangers, leurs familles, leurs enfants, et tous les Français autochtones ou pas, mais non-blancs et/ou musulmans ? Le discours lepéniste l’atteste, les sondages et les enquêtes « sortis des urnes » le confirment : c’est bien là l’obsession principale, centrale, envahissante, de cette candidate, de ce parti et de ses électeurs. (...)

Sixième objection : « Voter Macron c’est voter pour une politique (ultralibérale, raciste, paternaliste) qui de toute façon nous amènera Le Pen en 2022

(...) il y a quelque chose de faux factuellement et douteux idéologiquement dans le fait d’établir une équivalence mécanique entre l’ultralibéralisme et l’avènement d’un parti fasciste. D’abord parce que l’histoire montre qu’aucune évolution n’est jamais tracée d’avance, à ce point prévisible, et qu’il existe toutes sortes de séquences, avec toutes sortes de dénouements, qui ne se résument pas à l’équation simple « libéralisme, casse de l’Etat social, avènement du fascisme », selon un calendrier et un tempo prévisibles. (...)

En l’occurrence, il est clair qu’après trois décennies de déceptions, de trahisons, de casse de l’Etat social et de « lepénisation des esprits », il est possible et même probable que cinq années supplémentaires d’imposture « moderniste », d’opportunisme cynique, de vide intellectuel et de guerre aux pauvres nous amènent, en 2022, à l’élection de Marine Le Pen, mais ce n’est pas non plus une certitude absolue.

Par ailleurs, si l’on cherche absolument un lien entre le résultat du prochain second tour et le risque d’élection de Le Pen dans cinq ans, il me semble qu’on y trouve plutôt une raison d’utiliser le bulletin Macron : car laisser, en s’abstenant massivement, Le Pen se rapprocher des 50%, ou même atteindre 40% dès 2017, c’est contribuer à lui construire pour les cinq années à venir la place de l’opposante officielle et « légitime » au régime Macron, et donc lui offrir son ticket de candidate « naturelle » à l’alternance en 2022, alors que la faire redescendre vers les 20%, en votant massivement pour son concurrent, c’est la renvoyer dans la cour des deux rivaux supplantés de peu au premier tour : la gauche de Mélenchon et la droite de Fillon. (...)

Septième objection : « On ne lutte pas contre le racisme, le sexisme, le fascisme, en mettant simplement un bulletin dans une urne tous les cinq ans »

A cet argument j’ai à mon tour envie de répondre : merci pour la leçon mais celle-ci pour le coup est un peu superflue – et un peu insultante (...)

la nécessité d’un vote Macron n’induit pas que ce vote suffit à nous tirer d’affaire, la réciproque est vraie : les remarques tout à fait justes des « sans moi » sur le caractère non-suffisant du vote n’induit pas qu’il n’est pas nécessaire.

Huitième objection : « Au lieu de faire baisser le score de Le Pen en votant pour son concurrent, il faut militer (par la discussion avec les électeurs tentés par elle, et/ou par le rapport de force dans la rue) pour faire baisser en valeur absolue son nombre d’électeurs ».

Cet argument me paraît être une déclinaison du précédent : on part du fait que le « vote barrage » n’est effectivement pas la seule chose à faire pour en conclure – tout à fait abusivement – que c’est autre chose qu’il faut faire, et donc qu’il faut rejeter ledit « vote barrage ». L’alternative proposée est fallacieuse en effet au sens où elle disqualifie une option (qui prend au maximum deux heures de temps, un dimanche, et qui a un impact limité, mais réel) au profit d’une autre qui est pourtant parfaitement compatible avec la première (...)

l’appel au « vote barrage » n’a manifestement rien d’incompatible avec l’occupation de « la rue », bien au contraire. Les faits me semblent parler d’eux-mêmes : le 21 avril 2002, on a dès le premier soir des appels au « vote barrage » de tous les candidats de gauche et d’extrême gauche à l’exception de Lutte Ouvrière (Olivier Besancenot, Robert Hue, Christiane Taubira, Noël Mamère, Jean-Pierre Chevènement puis Lionel Jospin au bout de trois jours) et de tout le monde syndical et associatif, en même temps qu’une multiplication des manifestations de rue, meetings et autres initiatives collectives. En 2017 en revanche, pas le moindre appel au « vote barrage » émanant des candidats de gauche (Arthaud, Poutou, Mélenchon), hormis Benoit Hamon (puis Pierre Laurent pour le PCF, qui ne présentait pas de candidat mais soutenait Mélenchon). Et beaucoup moins de manifestations. Il me paraît très difficile dans ces conditions d’opposer l’appel au « vote barrage » et l’anti-fascisme de rue. L’hégémonie des appels au vote barrage en 2002 ne s’est absolument pas faite au détriment des mobilisations de rue, et la fin de cette hégémonie en 2017 n’a pas vraiment favorisé un essor desdites manifestations de rue. Tout se passe plutôt comme si la faiblesse de l’anti-fascisme de rue et l’absence d’appels au « vote barrage » étaient non seulement compatibles mais aussi corrélées. La question me paraît difficile à évacuer : et si le lien entre ces deux reculs était tout simplement un même arrière-fond qui est la normalisation achevée des idées de l’extrême droite, et plus précisément de son racisme ? Et si, en d’autres termes, le « dépassement » du « vote barrage » par les appareils politiques français manifestait avant tout le recul de la conscience et des réflexes antiracistes et antifascistes les plus élémentaires ?

Neuvième objection : « Je passe ma vie à combattre le racisme et le fascisme, ce n’est pas à moi de donner des gages sur ce terrain là, surtout pour soutenir un candidat qui n’a rien fait sur ce terrain, voire qui alimente ce racisme et ce fascisme. »

Cet argument aussi est une déclinaison des précédents : à la nécessité d’un « vote barrage » il objecte l’existence et la nécessité d’autres formes d’action contre le racisme, qui en bonne logique prouvent que ledit « vote barrage » n’est pas suffisant, mais ne prouvent pas qu’il n’est pas nécessaire.

Par ailleurs, cette objection a ceci de déroutant qu’elle s’énonce à la première personne, et qu’elle met le moi et son honneur au centre du débat. Elle pose pour cette raison un problème supplémentaire : non seulement elle prête à nouveau aux castors une naïveté ou une « suffisance » qu’ils n’ont pas (rares sont en réalité les castors qui jugent suffisant le vote Macron pour venir à bout de la menace fasciste et du racisme français), mais en plus elle tombe, de son coté, dans ce travers, en postulant que des combats passés peuvent être suffisants – assez en tout cas pour « n’avoir plus de gages à donner » (ou, encore une fois, plus de « leçons à recevoir »), et pour s’autoriser de ce fait à se soustraire à l’option du « vote barrage » sans prendre au sérieux la question de sa nécessité. Là encore je précise que je parle surtout de militants politiques blancs, car cette posture de refus de « donner le moindre gage » (et conjointement de « recevoir des leçon ») n’a pas la même signification – et la même outrecuidance – quand elle vient d’une personne qui subit au quotidien la stigmatisation et la discrimination et qui, de ce fait, « passe sa vie » pour de vrai, au sens propre, à être antiraciste, et a donc de bien meilleures raisons qu’Alexis Corbière (France Insoumise) ou Cathy Billard (NPA) [1] de refuser de « donner des gages » sur ce terrain.

Ce que j’ai du mal à comprendre aussi, c’est qu’on puisse mettre dans une balance morale ses propres engagements de militant-e politique, antiraciste et/ou antifasciste, et ceux d’un jeune banquier avide de pouvoir – ou ceux de sa petite clique d’arrivistes ou d’arrivés. (...)

en gros le scrutin du 7 mai prochain représente pour beaucoup (j’ai dit beaucoup, pas tous), en tout cas pour beaucoup d’entre nous (je parle de moi et les miens, mes proches, celles et ceux blancs et non-blancs, militants et non-militants, qui font mon monde, nourrissent ma force, construisent mon existence), un choix imposé entre un candidat qui nous dégoûte et qui se nomme Macron, et une candidate qui nous fait peur et qui se nomme Le Pen. Cette formulation est bien sûr schématique puisqu’au fond, Macron me terrifie aussi, et Le Pen me dégoûte autant et même plus que Macron. Il reste qu’au final, c’est bien la peur – la peur que nous inspire Le Pen et plus précisément son accession au sommet de l’Etat – qui submerge le reste, et notamment la peur de Macron, de son équipe, de son monde. Et ce qui rend le choix et la discussion si difficile, intellectuellement aussi bien qu’émotionnellement, c’est que celles et ceux qui ont le plus de raisons d’être dégoûtés (par le système capitaliste, raciste, patriarcal que Macron représente et nous demande de reconduire sous une forme à peine relookée) sont aussi celles et ceux qui ont le plus de raison d’avoir peur (de la politique ultra-capitaliste, ultra-raciste, ultra-patriarcale de Le Pen, vite relookée elle aussi, en jacquerie antilibérale).

On dit que la peur n’est pas toujours fondée, mais certaines le sont. On dit aussi que la peur est mauvaise conseillère, mais mon histoire personnelle et familiale m’a appris qu’elle ne l’est pas toujours, et que le « même pas peur » peut être le pire des conseilleurs. Nous sommes là, on le voit bien, dans un domaine qui ne relève pas des sciences exactes : ce que j’ai livré ici est une tentative de mettre en forme cette peur, la mienne et celle des miens. Je pense que c’est cette peur qui aujourd’hui prend le dessus et nous détermine, et je pense que ce n’est pas une erreur de lui laisser tant de place. Je crois qu’il y a de très réelles raisons d’avoir peur, parce qu’il y a de très réels dangers – je veux dire la perspective d’un avenir réellement pire que l’horreur présente et passée. Je crois enfin qu’il faut écouter sa peur (et donc assumer le niveau d’impuissance qu’elle révèle) et en faire quelque chose (à partir du petit niveau de puissance qu’elle nous laisse, la peur n’étant pas la certitude du pire), mais en tout cas pas la dénier, si l’on veut à terme – dès le 8 mai – reconstruire un autre présent, laissant une place à d’autres affects, comme l’espérance ou la colère, qui nourriront des luttes et des avancées.