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BFM-TV, mode d’emploi
Article mis en ligne le 2 juillet 2020
dernière modification le 1er juillet 2020

La critique des médias est une activité qui demande une certaine abnégation : afin de rendre compte des logiques quotidiennes à l’œuvre dans les chaînes d’info, nous nous sommes astreints à observer BFM-TV… pendant une journée entière (ou presque : de 6h à minuit). Retour sur la fabrique « ordinaire » de l’information en continu.

Les chaînes d’information en continu déversent, chaque jour, leur flux d’éditions spéciales, de reportages, d’interviews, de débats entre éditorialistes et autres « experts ». La critique des médias y a trouvé matière à s’exercer, notamment la critique du journalisme de commentaire, ou celle du journalisme de maintien de l’ordre en période de mobilisations sociales. Nous nous focaliserons ici sur la fabrication de l’information continue, ses logiques éditoriales et son fonctionnement quotidien [1]. Nous avons pour cela observé la « première » chaîne info pendant une journée « quelconque » : celle du 21 novembre 2019. (...)

  • Premier constat tiré de l’ensemble de notre observation : BFM-TV est une « grosse machine » en termes de moyens humains. Pour assurer un direct permanent (ou presque), la chaîne met en branle des dizaines de journalistes. Ce 21 novembre, se succèdent à l’antenne 15 animateurs et animatrices, 9 éditorialistes, la cheffe et le rédacteur en chef adjoint du service politique, la cheffe du service culture, 5 journalistes « police-justice », 3 journalistes « politique », un journaliste « économie », un journaliste « High Tech », 2 chroniqueurs, 5 journalistes, 2 correspondants, 7 envoyés spéciaux… soit 52 journalistes [2]. S’y ajoutent la trentaine d’auteurs et co-auteurs des reportages diffusés dans la journée, sans compter toutes celles et ceux dont le nom n’apparaît nulle part ainsi que les techniciens et régisseurs.
  • Deuxième constat tiré de notre observation : BFM-TV est plus particulièrement une grosse machine… à publicité. La réclame occupe en effet une large place dans les programmes : plus d’un sixième du temps d’antenne (17%) sur les dix-huit heures observées. Soit, en moyenne, près de dix minutes par heure (...)
  • Troisième constat : le contraste est fort, tout au long de la journée, entre les formats mobilisés par la rédaction de BFM-TV. D’un côté, une grille très structurée, construite autour des journaux télévisés. De l’autre, la « priorité au direct » et le torrent de commentaires qui l’accompagne pendant des heures.

Le JT, colonne vertébrale (...)

Parfois, ils disparaissent complètement de l’antenne, « priorité au direct » oblige.

La plupart des infos traitées dans les JT sont développées dans des sujets [5] (en particulier le matin [6]) ou avec l’aide d’envoyés spéciaux en duplex (l’après-midi). En tout, 16 sujets différents sont diffusés entre 6h et minuit (voir en annexe 1). Leur taille est variable, entre 70 secondes et trois minutes ; et tous ne connaissent pas la même fortune : certains sont diffusés, rediffusés, mis à jour et rediffusés encore. D’autres disparaissent aussitôt après leur première diffusion. (...)

Avec, ce jour-là, une prédilection pour le journalisme de faits divers et la place des sujets « police-justice » (ainsi du reportage « Tuée par des chiens : le choc et les questions » rediffusé 8 fois – record de la journée).

Deux minutes, c’est peu. Exemple avec le reportage « Gilets jaunes : premier procès d’un policier » qui dure 1 minute 20 [7] et qui reproduit des biais bien connus : ceux du journalisme de préfecture, incluant notamment l’absence totale de contradictoire sur les questions de violences policières. (...)

Éditos, chroniques, plateau : le triomphe du journalisme de commentaire (...)

Il ressort de notre observation de BFM-TV plusieurs constats : la chaîne mobilise des moyens (notamment humains) importants au service de deux logiques éditoriales, qui, quand elles coexistent, semblent à bien des égards irréconciliables. D’un côté une grille très structurée, échafaudée autour des JT, avec l’ambition d’informer sur plusieurs « actualités » (dont une poignée circule en boucle). De l’autre, la « priorité au direct », qui explose ce cadre, monopolise l’antenne, dans l’espoir de ne pas rater « l’information de la journée », au risque d’éluder toutes les autres. Dans le premier cas, l’information est très formatée, empilant des sujets très courts, avec une prédilection certaine pour les faits divers. Dans l’autre, elle est noyée dans le torrent de commentaires des heures durant. Quoi qu’il arrive, elle fait donc les frais du journalisme made in BFM-TV.

Et l’apparente « diversité » des formats (de l’interview au reportage, de l’envoyé spécial à l’analyse en plateau, sans oublier la diffusion en direct de discours et conférences de presse [12]) ne trompe pas, toutes les informations semblant subir le tempo de l’info en continu : vite traitées, vite oubliées…

Le journalisme de commentaire atteint son paroxysme sur les plateaux de « débats », souvent accaparés par des éditorialistes « maison » pour le plus grand bonheur du pluralisme… et du « terrain ». En définitive, il en va de ce 21 novembre 2019 comme de nombreux autres jours de l’année : seuls quelques sujets jugés « dignes » de faire l’actualité surnagent dans une production éclatée (deux ou trois faits divers, un peu de mouvement social et beaucoup de Macron) et émaillée de publicité.

Supprimer des centaines d’emplois ou détériorer les conditions de travail des journalistes n’arrangera rien – bien au contraire.

Si la grille des programmes de BFM-TV s’articule autour de journaux télévisés diffusés toutes les demi-heures, la place qu’occupent ces derniers et leur contenu varient au cours de la journée. (...)