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#BalanceTonPorc : la libération de la parole sous caution médiatique
Article mis en ligne le 20 décembre 2017

L’ « affaire » Weinstein et le hashtag #BalanceTonPorc lancé le 13 octobre sur Twitter par la journaliste Sandra Muller ont provoqué un mouvement massif de libération de la parole des femmes et porté sur le devant de l’espace public et médiatique le sujet du harcèlement et des violences qu’elles subissent. Très nombreuses sont celles qui ont publié – et continuent de publier – sur les réseaux sociaux, des témoignages de harcèlements, violences et viols, en nommant parfois leurs agresseurs [1]. Parmi elles, de nombreuses journalistes, dénonçant des comportements sexistes et des violences au sein de leurs rédactions.

Le traitement médiatique – massif – de ce mouvement interroge à bien des titres : de quoi parlent les médias depuis le lancement du hashtag ? Comment parlent-ils des violences ? À qui donnent-ils la parole ? Comment les journalistes traitent-ils des cas de violences et de harcèlement mis en lumière dans leurs propres rédactions ou dans des structures « concurrentes » ? Comment les journalistes enquêtent-ils sur le sujet ? Autant de questions que nous essaierons de traiter dans une série de trois articles.
Ce premier volet revient sur les traits et les biais les plus récurrents et les plus critiquables de la couverture par les médias dominants des révélations qui, depuis plusieurs semaines, mettent en évidence l’ampleur et le caractère structurel des violences et du harcèlement sexistes. (...)

La masse de témoignages – ciblant l’espace public, les lieux de travail, la sphère privée ainsi que tous les milieux sociaux et professionnels – a poussé et contraint médias et journalistes à rendre visibles les violences faites aux femmes comme un phénomène structurel et politique. Ces violences ont ainsi pu apparaître comme un « fait social » et non plus comme de simples « faits divers ». Reléguées dans cette dernière catégorie, les violences sexistes ne pouvaient être perçues que comme des événements extra-ordinaires, cantonnés à l’intimité des vies privées et dont la singularité excluait qu’elles puissent avoir quelque caractère général ou systématique.

Pourtant, même arraché à la dimension anecdotique et épiphénoménale des rubriques « fait divers », le traitement médiatique de la question des violences et du harcèlement est resté tout au long de ces semaines largement contestable. Nombreux sont en effet les médias et les journalistes n’ayant pas su éviter les écueils et les tares qui caractérisent habituellement la couverture réservée à ces sujets : occultation de la parole des femmes au profit de celle des hommes, focalisation sur la forme de la dénonciation plutôt que sur le fond de ce qui est dénoncé, absence de remise en perspective des violences, etc.

« Ce n’est pas la bonne méthode », ou la fabuleuse histoire médiatique de la « délation »
Attaquant le sujet de biais, de nombreux journalistes ont substitué au débat de fond une discussion médiatique sur autre chose. Au cours des premières semaines de médiatisation des révélations consécutives au lancement du hashtag, il aura fallu que le tourbillon médiatique s’emballe et parle en premier lieu et en priorité non du fond, non du contenu, non de ce que les femmes disaient avoir subi, mais de la forme et de la manière dont elles avaient choisi de le dire. C’est ainsi que le désormais fameux terme de « délation » – et les indignations qu’il a suscitées – a envahi les colonnes de journaux, les plateaux TV et les antennes radio.

En substance, on a la plupart du temps condamné les violences, on s’est réjoui de la libération de la parole, mais… très souvent, on a préféré transformer sa chronique, son édito, ou son article en réquisitoire ! (...)

Twitter serait devenu un tribunal médiatique, la délation ferait des ravages et salirait des innocents. Une tendance médiatique largement répandue, qui n’a pourtant pas empêché certains journalistes de crier à l’ostracisation de leur pensée « critique » (...)

Le problème n’est pas tant que certains journalistes et éditorialistes livrent leurs opinions, mais que celles-ci, souvent ciselées et distillées à cet effet, soient reprises, puis commentées à tort et à travers, jusqu’à constituer le cadre de nombre de discussions. En lieu et place des débats de fond, c’est ainsi que les accusations et les craintes de « délation » ont occupé un temps d’antenne considérable, nourrissant « la circularité circulaire de l’information » de l’une de ces « polémiques » dont les médiacrates font leur miel.

Le 21 octobre, la pastille « L’édito de Blako » de l’émission « Salut les terriens », titrée « On ne peut plus rien dire : et si c’était vrai », s’attardait avec effroi sur le fond du problème. Les violences faites aux femmes ? Que nenni ! Le « tribunal populaire [ayant] vite fait de vous clouer au pilori » (...)

Fort heureusement, certains journalistes ne sont pas tombés dans ces chausse-trappes médiatiques et, enquêtes à l’appui, ont permis de documenter davantage le système de domination patriarcale, dont les violences sexuelles commises envers les femmes sont un symptôme et un rouage.

Des articles loin des chemins de traverse polémiques, que l’on a pu trouver parfois dans les grands médias – preuve qu’ils peuvent produire ponctuellement autre chose que du bavardage et des polémiques stériles. Mais aussi et surtout dans des médias alternatifs et indépendants : symptomatique.