
La décision prise par Twitter, vendredi 8 janvier, de suspendre « de façon permanente » le compte du président Donald Trump, dans la foulée de la tentative d’insurrection au Capitole, a suscité de nombreuses controverses.
Trump, qui a par ailleurs été suspendu pour une durée indéterminée d’autres plateformes comme Facebook, Snapchat ou Twitch, a d’abord lui-même protesté contre cette décision via son compte présidentiel @POTUS, en publiant une série de tweets dénonçant une « suppression de la liberté d’expression » qui s’exercerait au profit « des démocrates et de la gauche radicale », série de tweets rapidement retirée de la plateforme. Cette dernière justifie sa décision par une volonté de prévenir le risque de « nouvelles incitations à la violence », après que le président des États-Unis a encouragé ses supporters à marcher sur le Capitole, au mépris de la démocratie. (...)
En supprimant ses accès, les plateformes décident de ne plus être complices de la diffusion de fausses nouvelles et d’incitations à la violence qu’il a longtemps pratiquées.
Alors que les bannissements dont il fait l’objet ne mettront pas fin à ses discours ni à son idéologie –le président des États-Unis dispose de nombreux autres canaux d’expression, notamment dans la presse–, quel effet ce type de déclassement peut-il avoir sur son influence ?
Si l’effet Streisand (un phénomène où la volonté de censurer quelque chose ou quelqu’un ne fait que lui donner plus de visibilité, en suscitant l’intérêt propre aux sujets clivants) est bien réel, celui-ci s’essouffle sur le temps long. Plusieurs chercheurs et chercheuses ayant étudié les effets du « deplatforming » –le fait de priver quelqu’un des plateformes proposées par les réseaux sociaux– estiment qu’en termes de réduction globale des discours de haine, la méthode fonctionne. (...)
En 2017, un groupe de chercheurs de Georgia Tech publiait une étude révélant que l’interdiction des forums (subreddits) les plus violents de Reddit avait permis de réduire les discours de haine sur la totalité du site, y compris de la part des utilisateurs les plus actifs dans les subreddits incriminés.
Lorsque Milo Yiannopoulos, figure de l’alt-right américaine, avait été banni définitivement de Twitter pour avoir mené des campagnes de harcèlement ciblées, et avait dû démissionner de Breitbart News pour avoir défendu la pédophilie, sa place dans le discours public s’est fortement réduite. (...)
Dans la mesure où une grande partie de la population utilise quotidiennement les réseaux sociaux, et y trouve sa seule source d’information, l’enjeu se place au niveau de l’habitude : est-ce qu’après sa disparition de Twitter, Facebook et compagnie, et la retombée du pic d’attention dû à l’assaut violent du Capitole, la parole de Donald Trump restera une habitude quotidienne pour les citoyen·nes des États-Unis ?
« L’objectif principal de ces gens est de faire en sorte que les communautés mainstream s’alignent de plus en plus sur leurs croyances », souligne Robyn Caplan, doctorante à l’université Rutgers et affiliée à Data and Society. Refuser aux personnes véhiculant des incitations à la violence ou à la haine l’accès aux réseaux sociaux traditionnels a naturellement pour effet de préserver le discours public d’un emballement progressif, en luttant contre la normalisation de ce type de discours. (...)
L’un des mythes assez répandus au demeurant, et alimentés par des figures politiques comme les élus républicains Ted Cruz et Jim Jordan, ou Donald Trump et ses soutiens, est que les suspensions de comptes ou restrictions d’accès pratiquées par les géants de la Silicon Valley ne concerneraient que les conservateurs, qui seraient les premières victimes d’une censure ciblée.
Or comme le relève Caplan, le deplatforming est beaucoup plus efficace lorsque les personnes qui en font l’objet n’ont pas de pouvoir –a fortiori pas de base électorale– pour commencer : « Des militants pour les droits des personnes trans, des organisateurs de Black Lives Matter, des personnes LGBTQI ont également été démonétisées ou déclassées de ces plateformes. La raison pour laquelle nous parlons des personnes d’extrême droite est qu’elles sont couvertes par Fox News et disposent de représentants au Congrès qui tiennent des audiences. Elles ont déjà un pouvoir politique. »
Leur capacité à crier à la censure se trouve ainsi proportionnelle à la visibilité et à l’écho qu’ils conservent. Si Donald Trump perd donc un pouvoir de nuisance sur les réseaux sociaux, il est, pour l’heure, toujours fort de relais politiques. En revanche, l’impossibilité dans laquelle il se trouve désormais de relayer des théories complotistes et des appels à la violence a des chances, sur le long terme, d’apaiser les réseaux sociaux, ou du moins, de ne pas les exciter davantage.
Mais aussi :
Toujours se référer aux fondamentaux : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »
— Roch-Olivier Maistre (@romaistre) January 9, 2021