
Le documentaire “La Cravate” questionne à bonne distance l’engagement militant d’un petit soldat de l’extrême droite. Une semaine après sa sortie en salles, son personnage principal, Bastien Régnier, raconte comment il vit le dévoilement de son passé violent.
Paradoxalement, c’est sans doute François Ruffin qui parle de La Cravate avec le plus d’enthousiasme. « Le dispositif est génial, j’en suis jaloux. On nous raconte un roman national avec une écriture romanesque. Le fond et la forme s’épousent et donnent un film parfait. » Appréciation de connaisseur. Doublement. François Ruffin a lui-même réalisé des documentaires (Merci patron !, J’veux du soleil) et il a été l’adversaire politique le plus acharné du personnage principal de La Cravate : Bastien Régnier, jeune militant du Front national, dont le film brosse un portrait intime qui questionne les racines de son engagement et l’évolution de ses relations avec le parti, lors de la campagne présidentielle de 2017.
De ce point de vue, La Cravate est un film passionnant, sans mépris ni fascination, et qui humanise de façon consciente et assumée un petit soldat de l’extrême droite. (...)
. « Si on dépasse le cadre politique, le film interroge, reconnaît le député de La France insoumise. Où est aujourd’hui le lieu de l’identité et de la reconnaissance d’un jeune homme un peu perdu comme Bastien, dans lequel peuvent se retrouver beaucoup de jeunes, indépendamment de son étiquette politique ? Et quels modes de sociabilisation doit-on mettre en œuvre pour apparaître ouvert à tous et faire en sorte que, contrairement à Bastien, les jeunes ne trouvent pas refuge au Front national ? »
Questionnement complexe induit par le documentaire, auquel Bastien Régnier apporte sa propre réponse. En acceptant de faire ce film et de se livrer aussi intimement aux deux coréalisateurs, Mathias Théry et Étienne Chaillou, il s’offre une thérapie par l’image avec, à la clé, une nouvelle possibilité de redéfinir son identité et de trouver une autre forme de reconnaissance que celle que lui apportait le FN. Pari intrigant et hasardeux : on ne rompt pas impunément aux yeux de tous avec ses anciens amis et un passé violent sans se mettre en danger. (...)
Une semaine après la sortie de La Cravate, il revient sur le film et sur son itinéraire d’enfant en colère, qui l’a mené des skinheads au Front national. (...)
“Ce film me met en danger. J’ai peur de perdre mon boulot, peur de représailles du FN, peur de me faire passer à tabac par les skinheads.” (...)
Quelle a été votre réaction quand vous l’avez vu ?
Je me suis retrouvé face à quelqu’un dans lequel je ne me reconnaissais pas. Comment avais-je pu raconter des blagues racistes, taper sur des gens, adhérer corps et âme au programme du FN, mentir consciemment pour des raisons politiques ? Je me suis dit que j’avais vraiment déconné dans ma vie, qu’il était temps de dévoiler tout ce passé caché, que parler allait me permettre de remettre les compteurs à zéro.
J’ai aussi enfin compris où j’en étais politiquement. (...)
J’ai compris que c’était le système qui était en cause et pas cette partie de la population qu’on m’avait désignée comme des boucs émissaires, la cause de tous nos problèmes. Désormais, je ne me bats plus contre des gens, mais contre un système mis en place et entretenu depuis des années par des élites qui dévoient la démocratie. (...)
Au Rassemblement national comme avant au FN, on défend des idées « présentables » auxquelles on ne croit pas du tout dans la réalité. La dédiabolisation n’était qu’un artifice de communication destiné à rendre le FN plus présentable. Même si on met une cravate à un skinhead, il n’en reste pas moins un skinhead.
Vous êtes-vous senti manipulé pendant le tournage ?
Non. En revanche, il m’est arrivé de ne pas tout raconter, d’esquiver certaines questions ou de me montrer à mon avantage quand ils me filmaient en public. De ce point de vue, je pense que c’est plutôt moi qui essayait de les manipuler en leur donnant l’image d’un FN jeune, moderne et respectable. Ce qui n’est absolument pas le cas. (...)
Je me suis enfermé pendant des années dans un mode de pensée morbide qui m’a conduit chez les skinheads, puis au FN, avec des gens qui m’ont rassuré, construit, mais aussi manipulé et tiré vers les extrêmes. Chez les skinheads, j’étais dans le néonazisme pur. Pour moi, le meurtre était justifiable, la vénération du Troisième Reich, normale ; et chaque week-end nous partions en croisade casser de l’Arabe et du gauchiste. Au FN, j’ai trouvé un cadre théorique plus respectable et moins violent, même si j’ai ensuite déchanté.
Je compare aujourd’hui mon histoire à celle des jeunes qui se sont laissés embarquer pour le djihad. (...)
“Je m’excuse de toutes les conneries que j’ai faites.” (...)
Êtes-vous toujours raciste ?
Plus du tout. J’ai compris que la couleur de peau ou la religion n’ont rien à voir avec ce que sont les gens et que je m’étais créé des ennemis qui n’en étaient pas.
“Je n’ai pour l’instant eu aucun retour de mes ‘anciens amis’ du FN.” (...)
En fin de compte, ce film n’a-t-il pas été une forme de thérapie pour vous ?
Si, et c’est sans doute la meilleure que j’aie faite. Mathias Théry et Étienne Chaillou m’ont amené à changer à travers ce film. Désormais, quand je le regarderai, ce sera pour voir celui que j’ai été et que je ne serai jamais plus.