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Battir : le village palestinien qui cultive la résistance
Article mis en ligne le 19 septembre 2013
dernière modification le 15 septembre 2013

C’est une bataille silen­cieuse, labo­rieuse, qui se déroule sur les contre­forts de Jéru­salem, dans un paysage d’une beauté âpre, à cheval entre Israël et la Cis­jor­danie. Il y a des sapins d’un côté et des plants d’oliviers de l’autre. Une armada de résineux, en rangs serrés, face à une troupe d’oléagineux à peine montés en graine. Et puis, tout autour, des murets de pierres sèches qui courent sur la terre ocre, dégrin­golent les pentes, enjambent les vallons et des­sinent, jusqu’à perte de vue, un dédale de ter­rasses agri­coles. "C’est la vallée du Makhrour, 554 km de murets, le plus long réseau de ter­rasses de toute la Palestine", s’exclame Hassan Muamer, un guide pour ran­don­neurs qui conduit une Subaru cabossée sur un sentier rocailleux. Ori­gi­naire de Battir, le prin­cipal village de la vallée, ce tren­te­naire éner­gique connaît chaque recoin de ce petit paradis rural et chaque détail de la bagarre qui s’y joue.

En parallèle du circuit de ran­donnée, les Battiri ont créé un centre d’information et un gîte, qui ont accueilli, depuis février 2013, plus de 1 500 tou­ristes (le guide Hassan Muamer).

Aux yeux des Pales­ti­niens, le sapin est un intrus, l’arbre de l’envahisseur. Importé par l’occupant bri­tan­nique dans les années 1920, planté tous azimuts par les Israé­liens, après la création de leur Etat en 1948, il a contribué à effacer le péché ori­ginel des sio­nistes. En quelques années, les vil­lages pales­ti­niens, rasés et vidés de leur popu­lation lors de la pre­mière guerre israélo-​​arabe (1947−1949), ont été recou­verts par d’épaisses sapinières. (...)

Et puis la bar­rière de sépa­ration, un gigan­tesque dis­po­sitif anti­ter­ro­riste en voie d’achèvement après dix ans de travaux, s’approche de Battir, dont elle pourrait confisquer une partie des terres. En face, les Pales­ti­niens sont démunis. La bureau­cratie mili­taire israé­lienne leur interdit de construire dans la plus grande partie de la vallée. "Alors on plante, pour marquer notre ter­ri­toire, explique Hassan, le guide. On rénove les vieux sen­tiers, aban­donnés au fil des années, pour inciter les paysans à retourner à la terre. On se lance dans l’écotourisme pour faire parler de nous. On est même can­didat à l’inscription sur la liste du patri­moine mondial de l’Unesco. Ce paysage est à nous, on doit le défendre, le recon­quérir", ajoute-​​t-​​il en écrasant l’accélérateur de sa guimbarde. (...)

Battir, 5 000 habi­tants, au sud de Jéru­salem, est la capitale de cette "intifada verte". Pas de kalach­nikov ici, pas de pierres ni même de mani­fes­ta­tions, comme à Bilin, un autre village de Cis­jor­danie menacé par la bar­rière. Les armes des vil­la­geois sont des cartes topo­gra­phiques, des ins­tru­ments de relevés, des pelles et des pioches. Leur allié numéro un est la nature envi­ron­nante, ce sublime relief en ter­rasses que les his­to­riens locaux font remonter aux Cana­néens (IIIe mil­lé­naire avant notre ère). (...)

A partir de la fin des années 1990, les "Battiri", déjà privés du train, ont peu à peu perdu le droit d’aller vendre leurs pro­duits à Jérusalem-​​Est, la partie arabe de la ville sainte, isolée du reste de la Cis­jor­danie par les check­points israé­liens. "On doit ruser, explique Abou Hassan, un autre paysan, qui promène ses chèvres à flanc de colline. On envoie les cageots par taxi et ma femme les rejoint par un chemin détourné. Mais on gagne de moins en moins d’argent. Le mur achè­verait de détruire notre jardin." Une fois n’est pas coutume, la Cour suprême israé­lienne pourrait donner raison aux vil­la­geois. Elle a rejeté pour l’instant les dif­fé­rents tracés pré­sentés par l’armée, lui sug­gérant de pro­poser une "alter­native non phy­sique" à la bar­rière. Le fait que le dépar­tement israélien des parcs naturels, dirigé par un colon peu suspect de pales­ti­no­philie, sou­tienne la pétition de Battir n’est sûrement pas étranger à cette décision. "C’est la pre­mière fois qu’un orga­nisme officiel ose contredire l’armée", s’enthousiasme Mohammed Obi­dallah, membre de Friends of the Earth Middle East (FoEME), une ONG de défense de l’environnement israélo-​​jordano-​​palestinienne, acquise elle aussi à la cause de Battir. "C’est le résultat de la mobi­li­sation de toute une com­mu­nauté, qui a compris l’intérêt qu’elle avait à tra­vailler avec des Israé­liens", poursuit-​​il (...)

Est-​​ce un hasard ? Au mois de juin, alors que le dossier était fin prêt, l’Autorité pales­ti­nienne a subi­tement renoncé à faire ins­crire Battir au patri­moine mondial de l’Unesco. Sur place, l’annonce de cette reculade a eu l’effet d’un coup de massue. Hassan Muamer et Samir Harb, les deux cer­veaux de la renais­sance de Battir, l’ont res­sentie comme la négation de tous leurs efforts. Le premier a songé à s’expatrier dans le golfe Arabo-​​persique. Le second est reparti à ses études d’architecture. Et puis l’été est passé, les tou­ristes conti­nuent d’arriver. Battir n’est pas mort, l’utopie frémit encore.