
Des saucisses ? Oui, mais de légumes. Des escalopes panées ? Au tofu, alors. À Berlin, les traditions culinaires se sont mises au régime sans viande. La ville vient même d’être élue « capitale mondiale des végétariens » par le magazine états-unien Saveur. C’est promis, aucun animal n’a été maltraité au cours de ce reportage.
Une odeur de friture dans l’air, des mâchoires qui s’activent dans une lumière tamisée, la carte du Schwalbe, restaurant branché de Berlin, annonce une « soirée spéciale hamburger ». Pourtant, aucun steak n’est servi saignant. Dans les assiettes, le bœuf a laissé la place à un mélange de haricots noirs, de soja, de seitan et d’avoine. Pas de fromage non plus : ce soir, c’est dîner végétalien – sans viande mais aussi sans lait, sans œuf ni tout autre produit d’origine animale.
Les mines sont réjouies, en particulier celle de Jan Liedtke, organisateur de ce « vegan pop up ». Depuis quelques mois, il tente, avec ce type d’événements, de populariser le régime 100 % végétal. (...)
Loin d’une simple mode chez les bobos et les hipsters, le mouvement sans viande, dans ses différentes déclinaisons, est un phénomène de fond, selon Jan Liedtke : « C’est une décision trop personnelle, trop radicale, pour qu’il s’agisse d’une simple tendance », assure-t-il.
Une radicalité qui fait justement partie de la culture de la capitale allemande, confirme Berrin Inci, qui y tient l’un des plus anciens restaurants végétariens, le Café V, ouvert en 1992. « Le végétarisme n’est pas une invention des Berlinois, mais le sujet est pris au sérieux ici, explique-t-elle. C’est une ville où les habitants font des choix en conscience, en l’occurrence à la fois pour des raisons d’éthique animale et de santé. Je pense que l’engagement pour le végétarisme est fortement lié à cette conscience politique alternative. »
Selon la restauratrice, l’ancrage du phénomène à Berlin tient aussi aux habitudes alimentaires de ses nombreux immigrés turcs, grecs, italiens, férus de plats à base de légumes. Courgettes panées, aubergines farcies au blé, fromage de brebis, houmous… la carte du Café V est un concentré de ces influences du régime méditerranéen. (...)
Le marché des protéines végétales est très prometteur outre-Rhin. Huit millions d’Allemands ne se pâment plus devant une saucisse de Francfort, près d’un million d’entre eux se disent complètement végétaliens. On estime que le chiffre d’affaires du secteur des alternatives à la viande a grimpé de 73 % en cinq ans, une grande part incombant à la seule ville de Berlin. C’est notamment là que le premier supermarché 100 % vegan a vu le jour en 2011. (...)
Au-delà du succès commercial, on assiste bel et bien à Berlin à la concrétisation d’une utopie politico-culinaire. (...)