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Le Point
Bernard Benhamou : « La surveillance de masse est devenue le modèle économique de l’Internet »
Bernard Benhamou est secrétaire général de l’Institut de la souveraineté numérique
Article mis en ligne le 23 mars 2018

Après l’affaire Facebook-Cambridge Analytica, le spécialiste appelle à une nouvelle génération de technologies de protection de la vie privée.

(...)Pourquoi le fait que l’entreprise Cambridge Analytica ait utilisé les données d’utilisateurs à leur insu sur Facebook est-il une affaire d’importance ?

Bernard Benhamou : Cette affaire est importante parce qu’elle se produit après de nombreuses controverses sur la gestion abusive des Gafa en matière de données personnelles. De surcroît, elle symbolise tous les dysfonctionnements possibles dans ce domaine et leurs conséquences parfois extrêmement inquiétantes sur le plan économique, mais aussi, et surtout, sur le plan démocratique. C’est ni plus ni moins le devenir politique de la première puissance mondiale qui pourrait s’être joué de manière frauduleuse entre les murs de Cambridge Analytica… De plus, on découvre aujourd’hui que cette société utilisait des méthodes quasi mafieuses d’intimidation, de chantage ou de prostitution pour arriver à ses fins politiques (...)

Mais c’est aussi tout le modèle économique de sociétés comme Facebook ou Google basé sur le profilage (dans ce cas, on parle de « microtargeting ») des utilisateurs qui pourrait se trouver remis en cause à l’issue de cette affaire.

Qui est le véritable fautif dans l’histoire ? Facebook s’estime aujourd’hui « scandalisé » de s’être laissé tromper.

Il est désormais évident que les dirigeants de Facebook ont fait preuve d’un extraordinaire mélange d’incompétence, de légèreté ou même de complaisance vis-à-vis de leurs responsabilités sociales et politiques. Et il est encore trop tôt pour savoir si Facebook prendra ou non les mesures adéquates pour éviter qu’un tel scandale se reproduise. Cependant, on peut déjà remarquer que le modèle économique même de Facebook rend ce type d’intrusion hautement possible et profitable. En effet, comme le disait l’expert en cybersécurité Bruce Schneier, la surveillance de masse est devenue le modèle économique de l’Internet. C’est ce modèle économique quasi unique qui fait désormais l’objet d’attaques des deux côtés de l’Atlantique. Le dévissage boursier de l’action Facebook en est d’ailleurs l’un des signes ; les investisseurs pensent désormais que c’est une refonte complète de ce modèle qui sera nécessaire pour limiter les risques à l’avenir… (...)

Les utilisateurs doivent avoir un meilleur niveau de contrôle de leurs données personnelles, mais certainement pas comme le proposent certains au travers d’une appropriation, et donc d’une possibilité de cession ou de revente de leurs données. À mesure que l’ensemble des données sensibles des individus sont captées par les réseaux sociaux et bientôt par les millions (voire milliards) de nouvelles générations d’objets connectés, c’est d’un meilleur contrôle que les utilisateurs doivent bénéficier, et non d’une rémunération symbolique sur leurs données*. À ce titre, la loi dite HR1313 étudiée en ce moment au Congrès américain qui forcerait les employés américains à se soumettre à des tests génétiques en entreprise est un rappel inquiétant des dérives possibles d’une dissémination tous azimuts des données personnelles les plus sensibles… En plus des mesures politiques d’encadrement de ces données, c’est donc bien les nouvelles générations de technologies de protection de la vie privée qu’il nous faudra développer en Europe. (...)

Le règlement européen sur les données personnelles (RGDP) est un début de solution pour un meilleur contrôle sur les données personnelles, mais ne constitue pas, loin de là, la fin de l’action politique européenne dans ce domaine. En effet, à terme, pour disposer d’un meilleur niveau de contrôle sur les données, mais aussi sur les activités de ces sociétés, l’Europe devra aussi imposer la localisation des données de ses usagers sur le territoire européen. Mais, au-delà du seul RGDP, l’Europe doit aussi se doter d’une politique industrielle qui valorise d’autres types de modèles économiques que ceux qui ont prévalu jusqu’ici. (...)

si l’Europe ne développe pas ses propres géants technologiques dotés de règles plus protectrices pour les citoyens, elle sera condamnée à revivre ce genre de scandale sans possibilité de s’en prémunir.

Lire aussi : Scandale Facebook et Cambridge Analytica : Zuckerberg annonce des mesures