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Bernard Friot : « Le management capitaliste entrave notre désir de participer au bien commun »
Article mis en ligne le 13 janvier 2014
dernière modification le 9 janvier 2014

A l’heure où le gouvernement envisage une remise à plat de la fiscalité, l’économiste Bernard Friot propose de revoir entièrement le fonctionnement du système salarial et des cotisations sociales.

Copropriété des entreprises, mutualisation des profits et salaire à vie pour tous : telles sont ses suggestions pour nous sortir du « malheur collectif » qui nous enferme depuis 30 ans dans la précarisation, le chômage, la marchandisation infinie et l’obsolescence programmée. Des réflexions à contre-courant qui, à l’instar de celles sur le revenu garanti, ouvre le débat sur l’autre société à édifier. (...)

Bernard Friot [1] : La « défense du pouvoir d’achat » ne passe pas par une hausse du salaire mais par la baisse des prix – et donc des salaires – ou par des formes de rémunération sans cotisations sociales : épargne salariale, intéressement, primes… Utiliser le terme « pouvoir d’achat », c’est aussi nous réduire à nos seuls besoins à satisfaire par ce pouvoir d’achat, c’est accepter de réduire le salaire au seul prix de notre force de travail. Or, le sens du salaire a changé depuis les conquêtes ouvrières du 20ème siècle. Il n’est plus seulement le prix de notre force de travail, mais intègre la qualification et les cotisations sociales. Ces qualifications – du poste dans les conventions collectives du secteur privé, de la personne dans le grade de la Fonction publique – pourraient ouvrir de nouveaux droits. Assorti de cette cotisation et de cette qualification, le salaire affirme que nous sommes les seuls producteurs de la valeur économique, et non de simples travailleurs à qui l’on consent un « pouvoir d’achat » pour s’assurer que nous serons demain au boulot. Le salaire est un outil anticapitaliste.

Vous proposez d’associer au salaire une forme de « citoyenneté économique ». En quoi consiste-t-elle ? (...)

Le suffrage universel – une personne, une voix – a été conquis pour affirmer la souveraineté populaire sur la délibération politique. Ce droit politique est aujourd’hui une caricature car il n’a aucune prise sur l’économie, chasse gardée des propriétaires des entreprises, les détenteurs du capital (...)

Avec un salaire à vie, inconditionnel, n’est-ce pas ouvrir la porte à ce que certains appellent « la France des assistés » ou « la France des canapés » ?

Ce sont des âneries. Ce qui nous empêche de travailler, c’est le management capitaliste. Quand on enquête auprès de personnes travaillant dans des conditions peu valorisantes, il en ressort qu’ils aiment leur métier. Ce qu’ils ne supportent pas, c’est leur emploi : leurs conditions de travail, leurs horaires, leurs salaires. Beaucoup de gens font un boulot qu’ils aiment mais ils se heurtent aux pressions des actionnaires parce que leur activité ne rapporte pas assez. Il existe aussi un désamour du travail chez des gens qui se sont heurtés à trop de murs sur le marché du travail ou dans leur entreprise. Salaire à vie et propriété de leur entreprise libèreront leur appétit de travailler. (...)

Nous ne mesurerons plus la valeur en fonction du temps de travail. Aujourd’hui, la course folle à la productivité élimine le travail vivant et génère une baisse du taux de profit. Pour compenser cette baisse, la valeur marchande est étendue indéfiniment, l’obsolescence des produits est organisée, la finance est globalisée, et la guerre de tous contre tous est instaurée. Bref, notre insupportable quotidien depuis trente ans. Au contraire, nous mesurerons la valeur par la qualification du producteur, comme nous le faisons déjà pour le calcul de la contribution des services publics et de la sécurité sociale au PIB. Cela apaisera considérablement notre pratique du travail. (...)

Les partisans d’un revenu de base universel vous reprochent, en instaurant ce salariat à vie, une soumission à une exigence de production…

Attribuer une qualification à quelqu’un ne le soumet à aucune exigence de production. Nous avons affirmé au cours du siècle passé qu’une personne qui n’a ni employeur ni actionnaire sur le dos, comme un retraité, produit. Qui lui demande des comptes sur sa production pour continuer à lui verser sa pension ? Et que produit-il, du lien social ou des kilomètres d’autoroute ? Je propose de généraliser la situation actuelle du retraité à toute la population de plus de 18 ans. Je me heurte ici aux craintes de ceux qui sont convaincus que le travail ne peut être que capitaliste, donc synonyme de souffrance, et servant souvent à produire de l’inutile, voire du dangereux. (...)

Comment passer de vos propositions à la pratique ?

En poussant plus loin la dynamique interrompue depuis trente ans pour notre malheur collectif. Toutes nos actions immédiates doivent avoir comme boussole le salaire à vie, la cotisation économique et la co-propriété d’usage des entreprises par les salariés. Nous pourrions revendiquer qu’au premier janvier 2015 tous les salaires, pensions et indemnités de chômage soient pérennisés et portés à 1500 euros net s’ils sont inférieurs et ramenés à 6000 euros net s’ils sont supérieurs. Cette première étape du salaire à vie pour tous serait financée par une cotisation nouvelle, la hausse des prix induite étant, là encore, annulée par la suppression du coût du capital. Interdire des dividendes et les intérêts assèchera la propriété lucrative. Nous pouvons aussi revendiquer que les salariés d’une boîte dont le patron met la clef sous la porte en deviennent automatiquement les copropriétaires d’usage. Autre revendication : créer pour les PME une cotisation économique (...)

Et commencer l’attribution du droit du salaire à vie par les 18-25 ans, avec création d’une cotisation compensée par la suppression du coût du capital. (...)