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Mediapart
Bernard Lahire : « Le rapport parent-enfant est une matrice de la domination omniprésente dans les sociétés humaines »
#biologie #sociologie
Article mis en ligne le 4 septembre 2023
dernière modification le 2 septembre 2023

Avec son nouvel ouvrage, Bernard Lahire fait le pari vertigineux de rapprocher biologie et sociologie pour repenser à nouveaux frais toutes les organisations des sociétés humaines. Entretien.

Que peuvent nous apprendre les écrevisses, les chimpanzés et les loups sur le fonctionnement des sociétés humaines ? Pourquoi l’humanité n’a-t-elle quasiment jamais connu d’organisations sociales égalitaires ? Comment expliquer que la domination masculine constitue un fait quasi universel ?

C’est un projet vertigineux et un pavé d’un millier de pages dans la mare des sciences sociales que signe le sociologue Bernard Lahire, professeur à l’ENS de Lyon, en publiant Les Structures fondamentales des sociétés humaines, aux éditions La Découverte.

Le chercheur, habitué des projets ambitieux, dont récemment une réinterprétation sociologique des rêves, ne propose en effet ici rien de moins qu’une refondation complète du socle des sciences de l’homme, à partir notamment d’une comparaison extensive entre les sociétés humaines et les sociétés non humaines et d’un arrimage des sciences sociales aux sciences de la vie. (...)

Pour le chercheur, « l’un des points qui ressort de ce travail, et qu’il [lui] aurait été impossible de prévoir avant d’être très avancé dans la recherche, est le fait que les sociétés humaines sont travaillées à la fois par des propriétés biologiques quasi constantes qui pèsent sur leurs structures profondes et par le poids de l’histoire, c’est-à-dire de l’accumulation culturelle au sens large du terme (savoirs et savoir-faire, artefacts, rites, institutions, etc.) ».

Bernard Lahire formule à partir de là des critiques très sévères sur l’état des sciences sociales contemporaines, « spécialisées, enfermées dans des aires géographiques, des périodes historiques ou des domaines de spécialité très étroits », leur « oubli du réel », leur fascination pour les « discontinuités » menant à un hyper-relativisme et un hyper-constructivisme, ou encore les « formations sans grand intérêt » des écoles doctorales qui devraient s’appeler « écoles de saut d’obstacles pour freiner la progression scientifique des apprentis chercheurs »…

En proposant de connecter davantage sciences de la nature et sciences sociales afin d’établir un nouveau paradigme pour ces dernières, il entend dégager des « lois sociologiques » susceptibles d’expliquer à nouveaux frais l’organisation des sociétés humaines.
Révolution copernicienne (...)

Révolution copernicienne

« Au cours de ce long parcours durant lequel j’ai intentionnellement mêlé des références aux sciences naturelles et aux sciences sociales, j’insiste sur le fait qu’il n’a jamais été question de déterminisme génétique, car la biologie de l’espèce pèse sur le monde social essentiellement à un autre niveau de complexité que celui où se situent les gènes », tient-il à déminer en ayant conscience que sa démarche, appuyée sur des milliers de références, est à contre-courant de ce qui se pratique aujourd’hui.

Pour lui, le tabou qui pèse sur l’idée qu’il y aurait des « invariants » sociaux ancrés dans notre histoire et notre condition biologique vient notamment du fait que les « interdits sont scientifiques mais aussi politiques, et la peur de “naturaliser“, de “fataliser” ou de “désespérer” toutes celles et ceux qui luttent contre toutes les formes d’inégalité et de domination est présente jusque dans les rappels rituels du caractère historique des lois ».

Ces invariants, pour reprendre les mots de l’anthropologue Françoise Héritier, ne sont pourtant pas « des universaux au sens que les philosophes donnent à ce terme ». Mais ils constituent des infrastructures des sociétés humaines dont la culture permet parfois de s’écarter, sans toutefois en effacer tous les effets. (...)

Les Structures fondamentales des sociétés humaines, aux éditions La Découverte.