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La vie des idées
Bitcoin et souveraineté monétaire
Article mis en ligne le 19 septembre 2020
dernière modification le 18 septembre 2020

Les monnaies digitales privées, après avoir suscité une levée de bouclier des banques centrales, leur donnent des idées. Le développement de monnaies digitales centrales pourrait conduire à une réaffirmation de la souveraineté monétaire

Le processus de mondialisation a engendré de nouvelles interdépendances et de nouveaux risques monétaires et financiers comme en témoigne la propagation mondiale de la crise des subprimes. Face à ce « dysfonctionnement de la globalisation », un mouvement de société s’est développé pour remettre en cause le rôle du système bancaire traditionnel et pour proposer l’usage de monnaies privées digitales. Ces dernières reposent sur une innovation technologique majeure : le registre distribué (distributed ledger) dont l’exemple le plus connu est la blockchain (chaîne de blocs). Ce registre permet de réaliser des transactions anonymes sur un réseau sécurisé et décentralisé à l’aide d’un nouvel actif : la monnaie digitale (MD) ou cryptomonnaie. Bien que le système Bitcoin, créé en 2008, soit le plus connu, le site d’analyse et de suivi du marché des MD CoinMarketCap, recense actuellement 2416 MD différentes pour une capitalisation boursière totale de plus de 280 milliards de dollars et dont les 3 premières sont : Bitcoin, Ethereum et Ripple. (...)

L’émergence des MD a fait réapparaître le débat sur la concurrence des monnaies. En effet, les MD sont une nouvelle forme de monnaie qui circule en parallèle du système bancaire traditionnel construit autour de la banque centrale (BC). Pour cette raison, leur usage répandu pourrait contester la souveraineté monétaire des États et des Unions monétaires. Cependant, nous verrons qu’après douze ans d’existence, les MD ne constituent pas un substitut crédible aux monnaies souveraines car leur large adoption est rendue difficile par l’existence de plusieurs obstacles. De leur côté, les BC projettent d’émettre des monnaies digitales de banque centrale (MDBC) qui pourraient se substituer à l’argent liquide et partiellement aux dépôts. Dans ce cas, les conséquences attendues seraient une diminution du risque de liquidité bancaire et une politique monétaire de taux négatifs et, par-là, une réaffirmation de la souveraineté monétaire. (...)

La souveraineté monétaire est une notion juridique relativement nouvelle puisque jusqu’à la fin du XIXe siècle les individus avaient le choix entre différentes monnaies concurrentes pour régler leurs transactions. C. Cipolla (1967), historien économique rappelle que « la souveraineté monétaire est une chose très récente. À la fin du XIXe siècle, aucun État occidental ne jouissait d’une souveraineté monétaire complète (...). Dans les siècles précédents (...), le principe de base de l’organisation monétaire (était) que les pièces étrangères avaient les mêmes droits que les pièces nationales et qu’elles pouvaient entrer et circuler librement sans aucune limitation particulière ».

Les monnaies étaient déterritorialisées.

Ainsi, les systèmes monétaires centralisés dans lesquels l’État souverain possède le monopole d’émission datent de la fin du XIXe siècle. (...)

Les monnaies digitales : des monnaies risquées, coûteuses et potentiellement déflationnistes

Depuis Aristote, la théorie économique considère que la monnaie remplit trois fonctions dans une société. La monnaie est une unité de compte qui permet de mesurer la valeur des biens ; elle est l’intermédiaire des échanges qui permet d’effectuer les paiements ; elle est également une réserve de valeur qui permet de reporter le pouvoir d’achat dans le temps. Or, les MD ne remplissent ces fonctions que dans une très faible mesure, seulement pour un petit nombre de personnes et en complément de la monnaie légale. En effet, très peu de sites marchands libellent leurs prix en MD, ces monnaies ne constituent donc pas des unités de compte. D’autre part, les MD servent peu de moyen d’échange. En effet, dans le cas du bitcoin, la plupart des utilisateurs en détiennent mais ne les utilisent pas pour leurs transactions quotidiennes (Ali et al., 2014). Enfin, la forte volatilité de la valeur des MD par rapport aux devises ne leur permet pas de remplir le rôle de réserve de valeur. (...)

Par nature décentralisés, les systèmes de MD ne bénéficient pas des économies d’échelle propres aux systèmes de paiement centralisés. Ainsi, le système Bitcoin consomme beaucoup de ressources afin de valider les transactions. Cette validation repose sur le travail des mineurs qui doivent résoudre un problème mathématique complexe afin d’exclure la double dépense de la même unité de bitcoin. La preuve de travail qu’ils apportent (proof of work) garantit qu’une unité de bitcoin ne fait l’objet que d’une transaction unique c’est-à-dire qu’elle n’est pas transférée deux fois. Chui et Koeppll (2019) estiment qu’en consommant de telles ressources informatiques et énergétiques, le système Bitcoin génère une perte de bien-être importante qui est environ 500 fois plus importante que celle d’une économie monétaire avec une inflation de 2 %. « Cela équivaut à la perte de bien-être qui serait générée dans un système monétaire avec un taux d’inflation modéré d’environ 45 %. » (ibid). (...)

Une monnaie digitale de banque centrale (MDBC) pour remplacer les espèces ? (...)