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Mediapart
Bolloré porte la dernière estocade à Arnaud Lagardère
Article mis en ligne le 16 septembre 2021

Trois mois après avoir renoncé à sa commandite, Arnaud Lagardère a perdu le contrôle de son groupe : Vivendi, contrôlé par Vincent Bolloré, a annoncé le lancement d’une OPA sur Lagardère, avec le soutien des principaux actionnaires. Jamais une telle concentration horizontale et verticale n’a été réalisée dans le monde des médias et de la communication. Un signe supplémentaire de notre effondrement démocratique.

C’était censé être un pacte de marbre, comme Arnaud Lagardère l’annonçait, triomphant, à ses équipes. Il serait PDG à la tête du groupe au moins pendant cinq ans ! Une éternité dans le monde des affaires. Il n’a pas duré six mois.

Le 15 septembre, Vivendi, contrôlé par le groupe Bolloré, a annoncé qu’il allait racheter les 17, 93 % du capital détenu par le fonds activiste Amber dans le groupe Lagardère, selon les accords conclus entre Bolloré et Amber en août 2020. L’opération, scellée au prix de 24,10 euros par action – soit une prime de 20 % par rapport aux derniers cours –, doit être réalisée d’ici au 15 décembre 2022, le temps d’obtenir les autorisations des différentes autorités de régulation (CSA, concurrence). À l’issue de cette opération, Vivendi, qui détiendra 45,1 % du capital de Lagardère, lancera une OPA sur la totalité du groupe, conformément à la législation boursière.

Avant même la clôture de l’opération qui doit entériner une concentration sans précédent dans les médias et dans la communication, Vincent Bolloré va disposer, dans cette période cruciale des élections présidentielle et législatives, d’une multitude de titres et de moyens audiovisuels, sans aucun contrôle et aucune entrave. Sauf si les différentes autorités de régulation lui imposent des restrictions, ce qui ne s’est jamais fait jusqu’alors, le CSA allant jusqu’à entériner le projet de rapprochement entre TF1 et M6 sans piper mot.

Chacun préfère maintenir la fiction que toutes les sociétés agissent de façon indépendante et autonome jusqu’à ce que tous les feux verts soient donnés. Ce qui a parfaitement été démontré chez Europe 1, notamment depuis que Vincent Bolloré a pris le pas dans le groupe Lagardère... (...)

Vivendi seul maître à bord du groupe Lagardère, qui s’en étonne ? Personne. La façon dont Vincent Bolloré a pris sans attendre le contrôle du groupe et imprimé sa marque dès les premières heures ne laissait aucun doute sur le sujet. Avant même la conclusion de l’accord avec Arnaud Lagardère, il avait obtenu fin mars le départ d’Arnaud Nourry, patron de Hachette, seul homme à opposer quelque résistance à son dessein, en essayant de monter une opération de rachat de la partie édition.

Les serres s’étaient encore plus raffermies dès juin, avec la mise au pas de la rédaction d’Europe 1, par le renvoi des chroniqueurs et personnalités emblématiques et historiques de la radio jugés trop éloignés de « la ligne du parti » : le départ de 70 journalistes, la confirmation de Louis de Raguenel, transfuge de Valeurs actuelles, comme chef du service politique. Pour confirmer cette remise au pas politique, des émissions communes avec partage des équipes entre CNews, la chaîne phare de Vincent Bolloré qui abrite Pascal Praud et jusqu’à dernièrement Éric Zemmour, et Europe 1. (...)

C’est peut-être là la seule surprise de l’annonce de l’OPA : le fait que tous les actionnaires s’accordent pour en finir au plus vite avec Arnaud Lagardère. « Arnaud Lagardère a trop joué avec les uns et les autres. Il a trompé tout le monde. Il a fait l’unanimité contre lui. Personne ne veut plus l’aider, même pas pour sauver les apparences », constate un observateur.

De fait, loin de susciter les divisions et les affrontements, comme l’héritier de Jean-Luc Lagardère avait pu l’espérer, les quatre autres principaux actionnaires du groupe – Bolloré, la Financière Agache, holding familiale de Bernard Arnault, le fonds activiste Amber et le fonds souverain qatari – paraissent avoir trouvé dans la plus grande discrétion un terrain d’entente et un mode opératoire commun. Et contrairement à ses habitudes passées, Vincent Bolloré paraît avoir accepté de jouer collectif. (...)

Tout étant bouclé, Vincent Bolloré a décidé de lancer son attaque éclair. Et il a saisi un moment où le groupe Lagardère était particulièrement affaibli : au lendemain de la perquisition du parquet national financier au siège de Lagardère, accusé d’avoir manipulé les voix et les votes en 2019 pour contrer l’assaut du fonds Amber. Une façon de rappeler à Arnaud Lagardère qu’il n’avait plus aucune marge de manœuvre.
Une concentration horizontale et verticale sans précédent dans les médias et la communication (...)

Vincent Bolloré affiche depuis longtemps sa volonté de bâtir un grand groupe de médias et d’édition. Mais jusqu’où pourra-t-il aller ? Quelle attitude adopteront les autorités de régulation et de concurrence ? À entendre certains de ses proches, le seul vrai problème résiderait dans le rapprochement entre Editis (cinquante maisons d’édition) et Hachette, les deux premiers groupes d’édition français qui détiennent un duopole sur les éditions scolaires notamment.

En 2003, les autorités de la concurrence s’étaient opposées au rachat de l’activité édition de Vivendi par Lagardère. Elles avaient imposé la création d’Editis, racheté à un moment par le groupe Wendel, propriété d’Ernest-Antoine Seillière, qui s’était empressé de le revendre à un groupe espagnol qui lui-même avait fini par le revendre à Vivendi. (...)

Il y a quelques années encore – comme au moment de l’élaboration de la loi Hersant ou la privatisation de Havas –, une telle concentration horizontale et verticale de titres, de canaux, de moyens dans les médias et la communication aurait suscité un tollé et provoqué des mesures dans le monde politique. Aujourd’hui, les mêmes assistent passivement à la concentration inexorable entre quelques mains de tous les moyens d’information et des groupes de presse, sans même demander l’application des lois existantes. Ce n’est qu’une traduction supplémentaire de notre effondrement démocratique et de la capture du discours et des politiques publiques par quelques puissants, prêts à tout, jusqu’à la diffusion des propos les plus nauséabonds.