
Soumis aux pressions d’une opposition puissante et doté d’alliés proches de l’agro-industrie, Lula semble prêt à lâcher du lest sur l’écologie. Le président – en visite à Paris cette semaine – et sa ministre Marina Silva savent aussi l’importance de cette thématique pour sa crédibilité, tant au Brésil qu’à l’étranger.
Mardi 30 mai, en pleine nuit, le projet de loi 490 (PL490) a été approuvé sans accroc ni esclandre par la chambre basse du Parlement brésilien. Résigné·es, la plupart des parlementaires du Parti des travailleurs (PT) ont voté contre, sans panache, conscient·es de la force des député·es lié·es à l’agro-industrie, les ruralistas, qui sont 241 sur 513 parlementaires.
Les trente-trois articles de la loi regroupent pourtant un patchwork de mesures restreignant les droits des autochtones, une menace sans précédent depuis le retour de la démocratie. Entre autres dispositions, le PL490 limite la revendication de nouvelles terres, menace les peuples isolés et ouvre la porte à l’exploitation agricole ou minière sur les territoires autochtones.
Une catastrophe à même d’entraîner une déforestation massive sur les terres les mieux préservées du pays. Ce projet doit encore passer devant le Sénat, peut faire l’objet d’un veto présidentiel ou être jugé inconstitutionnel par la Cour suprême. Il n’empêche : le symbole est désastreux pour le président Lula, qui sera reçu par Emmanuel Macron à Paris les 22 et 23 juin. Même sous Jair Bolsonaro, les ruralistas n’étaient pas allés aussi loin. D’autant que le lendemain, les député·es imposeront une réorganisation des ministères, retirant nombre de prérogatives à celui de l’environnement et à celui des peuples autochtones.
Dans les couloirs de Brasília, certains soupçonnent Lula de faire des concessions sur l’environnement pour faire adopter d’autres projets jugés prioritaires. Sans majorité, les négociations politiques sont en tout cas complexes, tout particulièrement avec Arthur Lira, président de la Chambre des député·es. (...)
Lié à l’agro-industrie et contrôlant un grand nombre de parlementaires, Arthur Lira conditionne son soutien au gouvernement à l’attribution de postes et de subventions pour garantir l’influence qu’il a su accroître durant le mandat de son ancien allié Jair Bolsonaro, tout en s’opposant à l’agenda environnemental de l’actuel gouvernement. « La situation est très mauvaise au Congrès, surtout à la Chambre des députés. Dans les années 2000, l’exécutif avait un meilleur contrôle du jeu institutionnel, il doit maintenant réagir pour éviter d’être l’otage du législatif », estime Suely Araújo, spécialiste de politiques publiques à l’Observatoire du climat.
Déjà conservateur, le Congrès a basculé encore plus à droite lors des dernières élections. Jair Bolsonaro a fait d’une bonne part de son mandat une croisade contre la législation environnementale et « une partie des élus semble disposée à résister à la restructuration proposée par Lula », estime Lorena Fleury, professeure à l’université fédérale du Rio Grande do Sul.
Le retour de l’État en Amazonie
Sous pression, Lula et Marina Silva tentent de réagir après ces sévères revers. Le 5 juin, le président annonce son veto à une loi menaçant la forêt atlantique, un écosystème particulièrement fragile. À ses côtés, sa ministre de l’environnement relance le Plan d’action et de prévention contre la déforestation en Amazonie (PPCDam), instrument essentiel à la réduction de la destruction de la forêt lors de son premier mandat (2003-2008).
Pour Suely Araújo, le gouvernement doit effectivement se montrer plus actif pour défendre ses engagements. (...)
Malgré une influence entravée au Congrès, le président peut compter sur la législation existante ou les institutions comme l’ICMbio, chargé de la gestion des zones protégées, ou l’Ibama, pour la protection de l’environnement.
Mais ces deux organes reviennent de loin. Vilipendés par les plus hautes autorités de l’État, agressés sur le terrain, persécutés par des supérieurs choisis parmi les forces armées ou de la police, sous-financés, leurs fonctionnaires en ont bavé pendant quatre ans. « On peut enfin travailler sans entrave et l’ambiance a radicalement changé, s’exclame André*. On fait maintenant pression sur le gouvernement pour réorganiser une institution qui a été démantelée ! » (...)
« Marina Silva semble ne pouvoir imposer ses choix que dans deux États (Pará et Mato Grosso), stratégiques vu que la déforestation y est la plus forte. Ailleurs, les accointances politiques primeront sur les compétences », souligne Oscar. Certains noms font bondir les fonctionnaires, comme ceux d’un homme impliqué dans une affaire de pédophilie ou d’une dentiste qui accumule des amendes pour crimes environnementaux.
Tensions autour d’un projet pétrolier (...)
impossible d’imaginer, pour le moment, une nouvelle démission d’une Marina Silva acculée, comme en 2008. Suely Araújo souligne « qu’une approche interministérielle a été développée sur l’environnement. 20 des 37 ministères sont désormais, dans leurs statuts, concernés par le sujet. Marina Silva n’est plus isolée comme dans les années 2000. Les discours de Lula ont aussi évolué dans le même sens. » Une preuve de plus, selon elle, d’un président désormais conscient des enjeux climatiques.
« Le monde a changé, précise Lorena Fleury. Le réchauffement climatique est désormais à la une de l’agenda global, Lula base sa politique extérieure sur ces questions et parcourt la planète pour gagner en influence et obtenir des aides. » (...)
En position fragile, Lula n’a pas le droit à l’erreur. « S’il faiblit politiquement, il peut y avoir de vrais reculs », craint Lorena Fleury. Un boulevard s’ouvrirait alors pour une nouvelle période de prédation environnementale.