Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
lundi matin
CESARE BATTISTI : CE QUE LES MÉDIAS NE DISENT PAS
Article mis en ligne le 16 janvier 2019
dernière modification le 15 janvier 2019

Après 37 années de cavale, l’ancien activiste italien a finalement été arrêté en Bolivie et est en cours d’extradition vers l’Italie. Le cas de Cesare Battisti est emblématique à de nombreux égards. Condamné en 1993 pour deux meurtres et complicité de deux autres assassinats commis en 1979 pendant les années de plomb, l’ancien militant des Prolétaires Armés pour le Communisme a toujours clamé son innocence. Jugé par contumace sur la base d’aveux de repentis et à partir de lois antiterroristes ahurissantes, il avait bénéficié jusqu’en 2004 de la "doctrine Mitterrand" qui offrait l’asile à tous les italiens ayant renoncé à la lutte armée et ne pouvant espérer bénéficier de procès équitables dans leur pays d’origine.

En 2004, donc, et alors qu’il est devenu un écrivain reconnu à Paris, le gouvernement Chirac accepte de rompre l’engagement de la France et accepte une énième demande d’extradition italienne. Battisti prend alors la fuite pour se réfugier au Brésil où il espère une plus grande mansuétude de la part du gouvernement Lula. Mais c’était sans compter, 14 ans plus tard, sur l’arrivée au pouvoir du président d’extrême droite Jair Bolsonaro : « Le Brésil n’est plus une terre de bandits. Matteo Salvini le “petit cadeau” va arriver. » a-t-il tweeté après l’arrestation en Bolivie du fugitif qu’il souhaitait livrer à l’Italie.

Nous publions ici un texte du fameux collectif d’écrivains italiens Wu Ming écrit le 21 juin 2004 au moment où la polémique sur l’éventuelle extradition de Battisti par la France battait son plein. 14 ans plus tard, 39 ans après les faits pour lequel l’activiste a été condamné à perpétuité, ce texte n’a jamais été autant d’actualité.
(Nous remercions Arlette Raynal et Serge Quadruppani pour la traduction.) (...)

(...)
Après la mise en liberté surveillée en France de Cesare Battisti, les médias italiens se sont déchaînés, déversant sur l’opinion publique tout le métal fondu pendant des années dans les hauts fourneaux du ressentiment, de la vengeance, de l’obsession sécuritaire. Il est impossible de faire un compte rendu de tous les mensonges et les aberrations écrits et transmis cette semaine. Il n’y a pas un seul article, aussi bref soit-il, qui n’en contienne des dizaines. Même les détails apparemment insignifiants sont erronés. Des faits et des personnages qui n’ont rien à voir avec cette affaire sont jetés dans la marmite pour troubler le bouillon, déchaîner la panique morale, empêcher à n’importe quel prix l’usage de la raison. Un lynchage médiatique comme on n’en avait plus vu depuis longtemps, auquel il est très difficile d’opposer des arguments, des éléments concrets et des reconstructions historiques un minimum approfondies. Et pourtant on ne peut pas renoncer à exercer la raison, on ne peut pas courber le dos et se cacher la tête dans les mains en attendant que passe la bourrasque. Quand bien même il s’agirait d’une entreprise désespérée, il faut opposer la raison au fanatisme. (...)

Avec l’arme de l’émotion incontrôlée et du chantage moral, on rappelle à l’ordre la gauche “réformiste”, on la pousse à condamner la gauche “radicale”, à diviser le camp de l’opposition. Comme si les “réformistes” avaient besoin d’être poussés... Ainsi on condamne le Pays à l’éternelle peur des fantômes d’un passé, qui en réalité ne passe pas, et n’est évoqué que pour des motifs de basse cuisine politico-électorale.

LES LOIS SPÉCIALES 1975-82
« Ce livre, je l’ai écrit avec colère. Je l’ai écrit entre 1974 et 1978 en contrepoint idéologique de la législation d’exception. Je voulais montrer à quel point il est équivoque de feindre de sauver l’État de Droit en le transformant en État Policier. »
Italo Mereu, Préface de la deuxième édition de Histoire de l’intolérance en Europe

Pour dire que le terrorisme fut combattu sans renoncer à la Constitution et aux droits de la défense, il faut être mal informé ou menteur. La Constitution et la civilisation juridique furent mises en lambeaux, décret après décret, instruction après instruction. (...)

• Un décret interministériel du 04-05-1977 créa les “prisons spéciales”. Ceux qui y entraient ne bénéficiaient pas de la réforme carcérale mise en place deux ans auparavant. Le transfert dans une de ces structures était entièrement laissé à la discrétion de l’administration carcérale sans qu’elle ait besoin de demander l’avis du juge de surveillance. Il s’agissait réellement d’un durcissement du règlement pénitentiaire fasciste de 1931 : à cette époque, seul le juge de surveillance pouvait envoyer un détenu en “prison de haute surveillance”. Le réseau des prisons spéciales devint vite une zone franche, d’arbitraire et de négation des droits des détenus (...)

CENSURES ET ERREURS DE LA PRESSE SUR L’AFFAIRE BATTISTI
Mon objectif n’est pas de démontrer que Cesare Battisti est innocent. Ce n’est ni à moi ni à l’opinion publique d’en juger. Ce que je tiens à faire comprendre, c’est qu’en général la manière d’aborder cette affaire souffre de toutes les distorsions, vices de procédure et imbroglio non résolus de la période de l’état d’urgence. Ce sont ces éléments, dont on ne veut pas faire table rase, qui empêchent une analyse rationnelle, laïque et constructive. Les reconstitutions hâtives du cas judiciaire de Cesare Battisti, éditées dans la presse italienne, sont très éloignées de la réalité des faits et même en contradiction avec les actes de l’instruction et des procès. (...)

LE “MAL FRANÇAIS”
“Mais comment se permettent-ils ces Français ? Pensent-ils pouvoir nous donner des leçons ?” Voilà un des leitmotivs de ces derniers jours. Ressentiment envers l’opinion publique française qui ne veut pas nous rendre un “boucher”, un “monstre”. Comme ils sont arrogants, nos “cousins” ! “Ils sont fous ces Gaulois !”. Au lieu d’essayer de comprendre le point de vue des autres, nous considérons que c’est “nous” qui avons raison de manière évidente et indiscutable. Et on ne se rend pas compte que, pendant que nous les accusons de se mêler de nos affaires, c’est nous qui nous mêlons des leurs. Pourquoi les Français devraient-ils renier une pratique juridique vieille de plusieurs dizaines d’années, la dénommée “Doctrine Mitterrand”, respectée par tous les gouvernements de gauche comme de droite qui se sont succédés depuis, simplement parce que leur ministre Perben a passé des accords avec notre ministre Caselli (...)
Je ne crois pas exagérer en affirmant que ce pays ne pourra jamais s’améliorer sans réfléchir à ce qui s’est passé dans les années Soixante-dix. Et ce n’est qu’après l’amnistie des derniers prisonniers et réfugiés de ce que la culture dominante appelle “les années de plomb”, après la solution politique d’un problème qui fut et reste politique et pas seulement criminel, que l’on pourra espérer comprendre ce qui s’est passé et comment ces événements ont conditionné la vie publique italienne.?