
Programmée au creux de l’été, la ratification parlementaire de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA) s’annonçait comme une formalité pour la majorité. C’était sans compter sur la mobilisation d’un front aussi hétéroclite qu’inédit, agrégeant députés de l’opposition de gauche comme de droite, syndicats agricoles et ONG. Début juillet, à quelques jours du vote, le débat se cristallise sur les farines animales, bannies en Europe après qu’elles eurent provoqué la crise de la « vache folle ».
D’un côté, les détracteurs du CETA relèvent le risque que des bœufs canadiens nourris avec des farines animales arrivent dans l’assiette des consommateurs européens. De l’autre, le gouvernement et la majorité démentent catégoriquement. Les deux camps s’écharpent par voie de presse et sur les bancs de l’Assemblée nationale, en s’accusant mutuellement de propager des « fake news ». Le débat est suffisamment technique pour en perdre son latin.
En épluchant les réglementations vétérinaires canadiennes et européennes avec l’aide d’experts, une conclusion finit par se dessiner : les pouvoirs publics se sont trompés en jurant que l’interdiction des farines animales était absolue. Un trou dans la législation autorise en fait les éleveurs canadiens à nourrir leurs bœufs avec des farines produites à partir de ce qu’il reste de leurs congénères une fois découpés à l’abattoir – le sang, les poils, le gras – et à les envoyer sur le sol européen sans que le consommateur en soit informé. (...)
Entre-temps, les autorités canadiennes ont pourtant reconnu le 19 juillet auprès d’Agra Presse que, « malgré une interdiction de principe de l’alimentation des ruminants à base de farines issues de ruminants, la législation canadienne autorise l’utilisation de certaines protéines, comme les farines de sang et la gélatine ». Or, comme nous l’écrivions à l’issue du « brief » de Loïc Evain, aucune règle européenne ne permet de refouler à la frontière les bœufs canadiens nourris avec ces « protéines ». Aussi étonnant que cela puisse paraître, toutes les normes sanitaires applicables sur le sol européen ne valent pas automatiquement pour les produits importés. (...)
Cannibalisme intra-espèce
Quelques heures plus tard, le député (La République en marche) Jacques Maire, chargé par la majorité de préparer l’examen du CETA, est contraint de rectifier in extremis son rapport parlementaire, en admettant son erreur. En séance, il dit avoir été « victime » d’une « grande confusion des termes extrêmement technocratiques ». La majorité tente alors de minimiser l’importance du couac, en insistant sur le fait que ces farines ne présentent aucun danger pour la santé. En écartant la moelle épinière et en chauffant les restes bovins à très haute température, les fabricants éliminent en effet tout risque de transmission des maladies comme l’encéphalopathie spongiforme bovine (la maladie de la « vache folle »).
Il n’empêche que cette alimentation n’est pas interdite par hasard en Europe : vingt ans après une épidémie que les farines animales avaient largement alimentée, l’UE préfère toujours les proscrire pour éviter les risques de contamination croisée, rassurer les consommateurs et éviter le cannibalisme intra-espèce des bovins. Les laisser pénétrer par la fenêtre canadienne n’est donc pas si anodin.
Si personne n’est à l’abri d’une erreur, c’est l’attitude du gouvernement français qui interroge dans cette « affaire des farines ». Il avait en effet été alerté sur ce problème dès septembre 2017 par la commission indépendante d’évaluation du CETA, puis interpellé pendant des mois par des ONG comme la Fondation pour la nature et l’homme ou l’Institut Veblen pour clarifier la législation applicable, sans jamais fournir de réponse satisfaisante. (...)