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Mediapart
Caisse des dépôts : « Bon appétit, messieurs ! »
Article mis en ligne le 28 septembre 2021
dernière modification le 27 septembre 2021

La Caisse des dépôts a pris l’habitude d’organiser la privatisation de certains de ses actifs au profit de ses propres dirigeants. La cession de sa filiale Egis à un fonds spéculatif en est la dernière illustration.

« Bon appétit, messieurs » ... Qui se souvient de la célèbre tirade de Ruy Blas ? Surprenant les conseillers du roi d’Espagne en train de se partager les richesses du royaume, le premier ministre s’emporte et poursuit :

« Ô ministres intègres !
Conseillers vertueux ! Voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison !
Donc vous n’avez pas honte et vous choisissez l’heure,
L’heure sombre où l’Espagne agonisante pleure !
Donc vous n’avez pas ici d’autres intérêts
Que remplir votre poche et vous enfuir après !
Soyez flétris, devant votre pays qui tombe,
Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe ! »

Formules terribles, ciselées par Victor Hugo, qui ont une valeur éternelle, mais qui n’en prennent pas moins, dans la France d’aujourd’hui, une résonance particulière. Dans la vie des affaires comme dans la vie publique, elles résument assez bien le haut-le-cœur qui parfois nous saisit lorsque l’on observe à quel point, et dans quelles conditions, l’intérêt général est piétiné au profit d’appétits privés.

En cherche-t-on une illustration récente, il suffit de se pencher sur la privatisation de la société d’ingénierie Egis à laquelle la Caisse des dépôts et consignations (CDC) s’apprête à procéder, au profit d’un fonds financier spéculatif, dénommé Tikehau Capital. Car cette opération, dont Mediapart a révélé au printemps dernier certains aspects sulfureux, peut faire l’objet d’innombrables critiques : cette entreprise, qui pourrait être un acteur important de la transition écologique, n’en est pas moins cédée à un fonds dans le seul but est de faire une galipette spéculative ; elle est offerte au privé alors qu’elle a des activités qui sont couvertes par le secret-défense ; la culbute qui s’annonce est d’autant plus choquante que le fonds sera autorisé à rétrocéder le contrôle d’Egis d’ici quatre ou cinq ans.

Mais, par surcroît, cette privatisation a été conçue pour l’unique enrichissement des cadres de l’entreprise publique. (...)

ce qui se prépare avec Egis n’est que le dernier exemple de cette politique. Raison pour laquelle on ne peut s’empêcher de penser à la célèbre apostrophe indignée de Ruy Blas : « Bon appétit, messieurs ! » (...)

Au lieu de conduire les opérations de prédation qu’on lui impute, la finance serait en réalité capable de défendre l’intérêt général. Voilà en résumé ce que suggère le communiqué écrit par les promoteurs de la privatisation – un texte soigneusement ciselé et… expurgé de toutes les informations les plus scabreuses.

Car la vérité n’a pas grand-chose à voir avec le message de ce communiqué. (...)

Les dirigeants de la CDC ont donc beaucoup de culot quand ils donnent une justification écologique à cette opération. La vérité, c’est que Tikehau Capital va pouvoir réaliser une immense plus-value, et éventuellement revendre la société dans quelques années, à l’un de ses concurrents étrangers. Et, pour la France, ce serait naturellement une perte importante car, de fait, Egis pourrait être un outil capital dans les politiques publiques pour la transition climatique. Au cours de ces dernières années, l’entreprise a en effet affiché de très fortes ambitions dans ce domaine. On peut ainsi prendre connaissance, ci-dessous, des « 21 propositions pour une relance économique bas carbone » formulées en 2020 par l’entreprise (...)

Au regard de l’utilité d’une telle entreprise et du rôle qu’elle veut jouer dans la transition écologique, comment ne pas être étonné de sa privatisation au profit d’un fonds spéculatif, qui lui-même pourra la revendre ? Il faut donc dire les choses pour ce qu’elles sont : au mépris de ses missions d’intérêt général, la CDC joue à l’économie-casino. (...)