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Mediapart
Caméras-piétons : révélations sur un naufrage
Article mis en ligne le 16 septembre 2021

Le coût du marché signé par le ministère de l’intérieur en 2018 a explosé, pour des caméras finalement inutilisables, selon un rapport de l’Inspection générale de l’administration que Mediapart s’est procuré. Ce document souligne aussi que de nombreux policiers se sont mis à filmer leurs interventions avec des caméras personnelles, « hors de tout cadre légal ».

Dans son discours de clôture du « Beauvau de la sécurité », Emmanuel Macron a confirmé mardi le déploiement de 30 000 « caméras-piétons » d’ici à la fin de l’année, c’est-à-dire « une par patrouille », puis une par policier et par gendarme d’ici à la fin 2022. Une « véritable révolution », à l’entendre. Un outil paré d’au moins trois vertus : « dissuasion », « efficacité », « transparence ». (...)

Le chef de l’État a bien précisé qu’il s’agit d’un « nouveau marché » signé avec l’Américain Motorola (au printemps dernier), histoire de rassurer les agents après le fiasco des 10 000 caméras chinoises commandées en 2018 par le ministère de l’intérieur, qui se sont révélées farcies de défauts et mal adaptées aux usages. Ce que le président n’a pas précisé, c’est le coût de ce récent naufrage.

Pour découvrir ces chiffres d’intérêt public, il faut lire le rapport « confidentiel » sur les caméras-piétons rédigé en juillet 2020 par l’inspection générale de l’administration (IGA), l’IGPN (la « police des polices ») et l’IGGN (l’inspection générale de la gendarmerie nationale), que Mediapart s’est procuré : « Près de 5 millions d’euros ont été engagés dans ce marché [signé en 2018 –ndlr] dont le matériel est unanimement critiqué », alors que l’offre initiale « pour 10 400 caméras s’élevait à 2 870 000 euros ». Une envolée des coûts sans « explication » valable et qui « pose réellement question », jugent les auteurs.

Mais il y a sans doute pire dans ce rapport, sur le plan démocratique : les inspecteurs constatent que les forces de l’ordre se sont mises, dans le même temps, à utiliser des caméras personnelles et à pratiquer des enregistrements sauvages, « hors de tout cadre légal ». Décryptage.

1,6 million de trop pour des caméras inutilisables
(...)

Questionné par Mediapart, le ministère de l’intérieur met vaguement en avant une « évolution technique issue des retours d’expérience de terrain », sans préciser laquelle. L’avis des inspecteurs est toutefois impitoyable : « Les caméras achetées en exécution du marché de 2018 présentent, de l’avis unanime des utilisateurs rencontrés, des défauts majeurs. »

Le rapport cite la « faible autonomie des batteries » (dont le changement nécessite par ailleurs une manipulation compliquée en intervention), la mauvaise qualité des images (pixellisation, instabilité) et du son… La liste est longue. Emmanuel Macron lui-même s’est autorisé, mardi, à ironiser sur ces « formidables caméras qui marchaient 4 heures par jour ».

L’usage de ces « formidables caméras », initialement prévues pour les seuls contrôles d’identité, a pourtant bien été étendu par le gouvernement à d’autres missions de police, en particulier le maintien de l’ordre. (...)

Dès l’été 2020, les inspecteurs recommandaient donc, dans leur rapport, « que soit engagée [...] une rupture anticipée du contrat », censé courir jusqu’en 2022. C’est désormais chose faite, selon Emmanuel Macron, qui a déclaré mardi que le marché avec Allwan avait été « cassé ».

Au sein de l’entreprise, sollicitée par Mediapart mardi soir, toutes ces critiques passent très mal. Tout comme la fin du marché, arrêté selon elle sans dédommagement et alors que de nombreuses évolutions auraient été faites gratuitement. Allwan évoque aussi une mauvaise estimation de départ, qui oubliait de nombreux accessoires, et regrette la mauvaise presse faite au fabricant Hikvision en France depuis que les États-Unis ont placé celui-ci sur leur liste noire en raison de sa participation à la surveillance et la répression des populations ouïghoures. À l’arrivée, un naufrage pour la Place Beauvau.

Multiplication des enregistrements pirates

Au fil des 50 pages que nous publions ci-dessous, le rapport dévoile aussi les pratiques d’un nombre important de policiers et gendarmes « hors de tout cadre légal » : l’enregistrement d’interventions grâce à des caméras personnelles.

« Des responsables hiérarchiques, y compris de haut niveau, confirment à la mission qu’ils n’ont pas interdit à leurs subordonnés l’emploi de caméras personnelles pour se défendre, le cas échéant, contre des mises en cause qui s’avèrent de plus en plus fréquentes », écrivent les inspecteurs.

On apprend même que des supérieurs hiérarchiques ont financé l’achat de caméras de type GoPro avec la dotation de leur service. (...)