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Cantines scolaires : les menus « corédigés » par le lobby de la viande
Article mis en ligne le 5 novembre 2019

Dans les cantines scolaires, les élèves ingurgitent d’énormes quantités de protéines animales. Certes, elles doivent proposer désormais un menu végétarien par semaine, mais les recommandations nutritionnelles officielles laissent songeur. Explication : les menus ont été corédigés par l’industrie de la viande et des produits laitiers.

Crumble de légumes au sarrasin, chili sin carne mais avec du tofu, gratin de polenta aux petits pois… À partir du 4 novembre, près de sept millions d’élèves inscrits à la cantine se verront servir un repas 100 % végétarien une fois par semaine. Impulsé par la loi sur l’alimentation votée l’an dernier, ce changement est bienvenu pour la planète – l’élevage industriel serait responsable de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre – mais également pour la santé des plus jeunes.

Selon le médecin Sébastien Demange, « les enfants consomment deux fois trop de protéines animales, et cet excès peut ensuite poser des problèmes cardio-vasculaires, de diabète ou de surpoids ». En outre, à trop ingurgiter du bœuf ou du poulet, on en a oublié de manger des légumineuses, des céréales ou des légumes. Résultat, « nos enfants sont carencés en fibres », observe M. Demange. Malgré ces effets délétères, l’an dernier, près de 70 % des élèves mangeaient encore de la viande ou du poisson tous les jours (ou presque) au restaurant scolaire. En moyenne, 80.000 tonnes de produits carnés et 120.000 tonnes de produits laitiers sont distribués chaque année aux déjeuners. (...)

« les recommandations officielles pour les viandes et les produits laitiers servis à l’école peuvent fournir pour le seul déjeuner près de 400 % des apports » conseillés par l’Agence nationale de santé publique, l’Anses. C’est un des résultats de l’enquête menée par Greenpeace en 2017. D’après l’ONG, le diable rouge de la viande se niche dans les détails de ces textes censés guider les acteurs de la restauration collective.

« On a cherché les facteurs qui pouvaient influencer les cantines, afin d’expliquer cette surreprésentation des produits carnés, raconte Laure Ducos, autrice du rapport. On a découvert que des représentants de l’industrie de la viande et des produits laitiers avaient participé activement à la rédaction des recommandations nutritionnelles qui orientent la composition des menus des cantines. » (...)

Revenons quelques années en arrière, en 2007. Cette année-là, se crée au sein du ministère de l’Économie un « groupe d’étude des marchés - Restauration collective et nutrition » (GEM-RCN) chargé de « traduire » les recommandations nutritionnelles des autorités de santé publique – l’Anses notamment – en données concrètes pour les cuisiniers, les collectivités locales ou les sociétés de restauration collective. (...)

Le GEM-RCN allait même plus loin, donnant des fréquences de repas, des tailles de portions, voire des compositions possibles de menus.

« Cela partait du constat que la qualité des repas était inégale, dans un contexte de plein essor des sociétés de restauration, qui répondaient à des marchés avec des règles basées sur les prix, indique l’Association française des diététiciens nutritionnistes (AFDN), membre du GEM-RCN. L’ambition était que tous les enfants bénéficient d’un repas de qualité. »

Rapidement, ce groupe s’est ainsi retrouvé en charge de la traduction du très sérieux Programme national nutrition santé (PNNS). En 2011, un arrêté et un décret lui ont apporté leur onction officielle, rendant certaines de ses préconisations obligatoires. Pourtant, malgré ce statut stratégique, le GEM-RCN n’a fait l’objet d’aucun contrôle rigoureux de la part de l’État. Ni l’Anses, ni le ministère de la Santé n’ont validé les options retenues. Personne non plus pour questionner la composition de ce groupe, décortiquée par Greenpeace. (...)

« Un menu classique recommandé pour un garçon de six ans couvre près de 600 % de ses besoins en protéines pour le déjeuner » (...)

Comment en est-on arrivé là ? Lors de la création du GEM-RCN, quand le coordonnateur du ministère de l’Économie a frappé à toutes les portes afin de constituer son groupe, il n’avait aucun budget, aucun moyen de rémunérer ou de défrayer les parties prenantes. Ce qui sont venus l’ont fait de manière volontaire, parce qu’elles y trouvaient un intérêt, individuel ou général. Cette participation bénévole au GEM-RCN a certainement créé un déséquilibre, dès le départ. (...)

Évidemment, chacun venait en défendant d’où il venait ; la filière lait et la filière viande étaient présentes, l’industrie agroalimentaire aussi, tandis que la filière des légumineuses n’existait pas encore et celle du soja se structurait à peine… Aujourd’hui, on appelle ça “conflit d’intérêt”. » (...)

Malgré tout, les pouvoirs publics semblent être sortis de leur apathie. Le ministère de la Santé a décidé de reprendre les travaux de traduction du nouveau Programme national nutrition-santé, et a créé un groupe de travail dédié, constitué de membres du feu GEM-RCN, mais également de représentants d’associations comme Greenpeace ou l’Association végétarienne de France. « Peu à peu, ça bouge », se félicite Laure Ducos. Du côté des sociétés de restauration collective, qui assurent la moitié des repas distribués dans les écoles primaires, on se dit prêt au virage végétal… à condition d’y aller progressivement. (...)

Dernier enjeu, et non des moindres, pointés par le professeur Mariotti : « Il y a des habitudes culturelles à faire évoluer. Quand on leur parle de manger moins de viande, les gens se sentent attaqués dans leur modèle culturel, dans leur intégrité même, ils ont l’impression qu’on veut convertir leurs enfants au végétarisme. » Les scientifiques sont d’après lui unanimes : « Il faut aller vers une végétalisation de l’alimentation. »