
L’offensive menée par l’Arabie saoudite au Yémen continue : les négociations de paix sont au point mort et la trêve humanitaire décidée par les Nations unies est restée sans effet. Le blocus aérien, naval et terrestre empêche l’approvisionnement du pays et aggrave la situation déjà extrêmement préoccupante des civils, premières victimes de cette attaque.
Ayant pu se rendre sur place, Ole Solvang de l’organisation Human Rights Watch raconte le quotidien d’une population durement touchée (...)
En temps normal, Saada abrite environ 50 000 personnes. La ville est la base principale et le bastion d’Ansar Allah, dont les membres sont plus connus sous le nom de « houthistes ». Groupe de zaidites du Yémen du nord, les houthistes ont pris le contrôle depuis l’année dernière de vastes parties du pays, forçant le président Abd Rabbo Mansour Hadi à s’enfuir en Arabie saoudite. En réaction à l’avance des houthistes, une coalition de neuf États arabes conduite par l’Arabie saoudite a lancé le 26 mars une campagne de bombardements aériens qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui. Je me suis retrouvé avec l’un de mes collègues au Yémen pour enquêter sur les frappes aériennes qui ont fait de nombreuses victimes parmi les populations civiles et déterminer si le droit de la guerre avait été violé. Nous savions que Saada avait été la cible du plus grand nombre de bombardements et c’est donc là que nous souhaitions aller.
Violations des lois de la guerre
Peu d’observateurs indépendants s’étaient rendus à Saada lorsque nous sommes arrivés à la mi-mai. Il n’est pas facile de se rendre au Yémen. La coalition maintient un bouclage aérien et terrestre sur le pays. Les attaques aériennes y sont courantes. Entrer dans le pays est une entreprise périlleuse. Mettant à profit un cessez-le-feu de cinq jours, nous nous y sommes rendus pour examiner la situation de près et pour parler aux victimes et aux témoins des événements.
Nous avons trouvé une ville parsemée de cratères de bombes et de bâtiments détruits. Les avions de la coalition semblaient avoir frappé tous les bâtiments gouvernementaux, y compris les installations sécuritaires qui étaient la cible naturelle des frappes et les bureaux de l’administration qui eux n’étaient pas des cibles militaires valables, comme le palais de justice, le bureau du procureur et le poste de pompiers. Ils avaient aussi à l’évidence touché de nombreuses structures civiles qui sont protégées par le droit de la guerre. (...)
Les 13 attaques que nous avons examinées ont entraîné la mort d’au moins 59 personnes dont 35 enfants. Ces frappes étaient illégales dans la mesure où rien ne prouve qu’elles visaient des cibles militaires légitimes. Des attaques illégales conduites délibérément ou sans se soucier de leurs conséquences s’apparentent à des crimes de guerre.
Outre les frappes aériennes conduites en violation apparente des lois de la guerre, nous avons eu le sentiment que la coalition avait attaqué Saada avec des bombes si puissantes qu’elles n’auraient pas dû être utilisées dans des zones peuplées. (...)
La guerre a par ailleurs aggravé une situation humanitaire déjà précaire au Yémen. À Saada, les bombardements ont détruit des infrastructures essentielles comme des centrales électriques ou des installations hydrauliques qui ont certes une valeur militaire mais qui sont cruciales pour la vie des populations civiles. De nombreux civils avaient déjà quitté la ville à la suite des avertissements de la coalition mais pour ceux qui sont restés la vie est devenue extrêmement dure. Il n’y a pas d’électricité. L’essence est devenue bien trop chère pour la plupart des gens et il est difficile d’acheter de la nourriture. (...)