
Accidents de la route, blessures et heures supplémentaires non payées… Les conditions de travail ne sont pas de tout repos chez Cogepart LAD 69, une représentation lyonnaise du groupe Cogepart, spécialisé dans la livraison, qui travaille pour Carrefour, Monoprix ou Ikea. Quand les livreurs finissent par craquer, se mettent en grève et obtiennent gain de cause, les conséquences sont dignes d’un mauvais polar. Enquête.
Amazon, Uber, Foodora… Nous savons désormais que ces quelques kilomètres bon marché se payent en réalité en conditions de travail dégradées. Ce que nous ignorons souvent en revanche, c’est que ce système se cache de plus en plus un peu partout, notamment en marque blanche des enseignes françaises les plus prestigieuses. C’est notamment le cas à Lyon, dans une société de livraison au nom aussi trouble que ses pratiques managériales : Cogepart LAD 69.
Vous ne les connaissez pas encore parce que, contrairement à Amazon, Uber ou Foodora, vous n’êtes pas leur client direct. Mais il suffit que vous ouvriez l’œil pour soudainement repérer ces livreurs habillés en bleu roi. Ils sont partout : livrant les courses que vous avez faites chez Carrefour ou Monoprix ; vous apportant le kit Ikea qui, une fois monté, vous servira de cuisine ; travaillant pour Danone, L’Oréal, Renault, Citroën et Nespresso. Ils font partie d’un groupe national à l’allure prospère : dans le classement 2016 des PME françaises les plus rentables établi par L’Express, Cogepart arrive en 75e position, avec 37,5 millions d’euros de chiffre d’affaires – soit une croissance de 45% entre 2012 et 2015 – et emploie plus de 1.000 personnes. Le groupe recrute d’ailleurs encore régulièrement ; mais, derrière les annonces d’embauche, se cachent les embûches.
Dont des accidents de travail à répétition. (...)
Au-delà de ces problèmes matériels, les chauffeurs de Cogepart sont également confrontés à des horaires de travail… illégaux. Jusqu’à quatorze heures trente par jour, selon une visite de contrôle de l’inspection du travail réalisée en octobre 2015, que nous avons pu consulter.
Amères heures supplémentaires (...)
Le début de l’année 2016 a ainsi été particulièrement rude pour les salariés de Cogepart LAD 69. En décembre 2015, tous ont travaillé particulièrement dur à l’approche des fêtes. Pourtant, mi-janvier, les salariés n’avaient toujours pas été payés. Quand ils reçoivent enfin leur salaire, ils découvrent que les heures supplémentaires manquent à l’appel. Ras-le-bol. Et grève – quasi générale, selon les salariés rencontrés.
De la grève aux représailles (...)
Pour le grand-distributeur, la grève fait tache. “Le directeur de Carrefour a mis la pression à Cogepart LAD 69 pour arrêter la grève et la mauvaise publicité pour l’enseigne”, raconte Frédéric Leschiera, un permanent du syndicat Solidaires qui a aidé les salariés. Contacté à ce sujet, Carrefour ne souhaite pas faire de commentaire. Mais la pression du mastodonte de la grande distribution (86,3 milliards de chiffre d’affaires en 2015) aurait très rapidement eu raison de la résistance de Cogepart LAD 69. Après deux jours, la direction accepte de signer un accord. Elle règle les retards de paiement des heures supplémentaires et accorde une prime exceptionnelle de 200 euros, pour “régulariser les erreurs en termes de management et retard pris dans le versement des salaires et indemnités diverses”. Le prix de la paix sociale. Enfin, pour un temps. “Après la grève, on a eu beaucoup de pression, continue Billel Sakhri. Des clans s’étaient créés, entre ceux qui avaient fait toute la grève et les autres. Et puis, on savait qu’on était sur la sellette, la direction était toujours sur notre dos.” Si l’étudiant se savait visé, il ne s’attendait pas à vivre un scénario digne d’un mauvais polar. (...)
Quand la justice s’en mêle
Plusieurs procédures sont aujourd’hui en cours devant les prud’hommes : considérant que leurs conditions de travail portaient atteinte à leur santé physique et mentale, les délégués du personnel ont ainsi exercé leur droit d’alerte en mars 2016. L’audience a eu lieu début octobre 2016, pour un délibéré attendu ce mois-ci. En parallèle, d’autres procédures devant les prud’hommes ont été enclenchées, notamment pour licenciement abusif après la grève. Celle de Billel Sakhri, le jeune leader à la mâchoire cassée, sera audiencée en novembre 2017.
Au vu des pratiques actuelles, ce pourrait n’être qu’un début. (...)