Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Basta !
Ce que cache le mot crise
Yannis Youlountas, réalisateur du film "Ne vivons plus comme des esclaves"
Article mis en ligne le 3 octobre 2013
dernière modification le 30 octobre 2013

Comment un élément de langage détourné de son sens premier contribue à la résignation. Car la crise est d’abord perçue comme un fléau : telle qu’elle est présentée, la crise financière serait la réincarnation de la Peste. Que l’on ne pourrait que subir. Pourtant, à l’origine, la crise signifiait tout à fait autre chose : un moment parfois positif et même nécessaire.

observons notre bain médiatique. Le monde y est présenté comme un chaos inexorable, dans la superficialité de l’information et le manège de ses transitions absurdes distillant nihilisme et sentiment d’impuissance. Quand on parle de la Grèce, c’est pour faire peur et inciter à mettre le doigt sur la couture. On sous-entend la paresse et l’incivisme des Grecs pour justifier leur abandon dans les enfers de l’Europe, en mettant sous silence les statistiques et l’Histoire prouvant tout le contraire. Quand on parle d’écologie, c’est pour appeler à un réalisme qui est tout sauf réaliste. Quand on parle d’économie, c’est pour inciter à une raison qui est le contraire de la raison parce que réduite à sa seule étymologie : un calcul. C’est-à-dire l’outil principal du kapo qui extermine soigneusement ses semblables comme celui du trader qui fait de l’argent sur la vie des gens, l’outil du théocrate ou du fasciste qui manipule savamment ses ouailles en leur fabriquant un ennemi diabolique sous l’étiquette d’une religion, d’une opinion politique ou philosophique, ou d’une nationalité. A l’inverse, raisonner, c’est d’abord écouter et essayer de comprendre, puis agir selon sa conscience en humain libre et responsable.

La crise : fléau mystique, source d’une incommensurable résignation ?

Le mot-clé de la période actuelle est sans doute le mot crise. C’est aussi l’un des plus urgent à revisiter parce qu’il a complètement été détourné de son sens premier, issu de l’antiquité grecque, pour revêtir un sens médiéval appauvri et réducteur. La crise est aujourd’hui réduite à une catastrophe économique et sociale plus ou moins imprévisible, à la croisée d’erreurs humaines et, plus encore, d’aléas du Marché. Elle s’inscrit dans la filiation des grandes crises sanitaires du Moyen-Âge et de l’Ancien Régime. Telle qu’elle est présentée, la crise financière est précisément la réincarnation de la Peste : fléau mystique et mystérieux, source d’angoisses terribles, de multiples souffrances, d’innombrables superstitions et… d’une incommensurable résignation.

Pourtant, à l’origine, la crise signifiait tout à fait autre chose : un moment parfois positif et même, osons le mot, nécessaire. Crise vient de krisis, le « moment de vérité » ou « du jugement », parce que, dans certaines cités grecques antiques, on questionnait les présumés coupables au moyen d’une mise en abîme — précisément au bord d’un abîme — face à la communauté. Autrement dit, on recherchait le lâcher-prise, la catharsis, l’abandon de la position intenable. D’ailleurs, les racines sémantiques de krisis signifient littéralement « vivre au bord » ou « être au bord, au bout de la vie ».

C’est pourquoi, le mot crise est plutôt à comprendre comme la découverte d’une impasse et la nécessité d’une profonde remise en question, d’un dépassement. (...)

Les mots ont du pouvoir. Celui-là plus que d’autres. C’est pourquoi l’emploi moyenâgeux du mot crise est une manipulation à combattre comme toutes les superstitions qui maintiennent l’humanité dans l’ignorance, la soumission et la résignation. Il ne s’agit pas de dire que la crise n’existe pas, mais qu’elle n’a pas la signification qu’on lui donne. Ne pas se laisser pétrifier dans le chant des sirènes médiatiques, mais chercher les causes profondes de cette crise dans l’échec lamentable de nos modes de vie et de nos organisations politiques, économiques et sociales qui sont à transformer au plus vite.