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Ceija Stojka, l’artiste rom réchappée des camps
À voir Exposition « Ceija Stojka, une artiste rom dans le siècle », du 23 février au 20 mai 2018, La Maison Rouge, 10 Bd de la Bastille (11e) À lire Je rêve que je vis ?, de Ceija Stojka, éditions Isabelle Sauvage.
Article mis en ligne le 26 février 2018

Une petite tzigane se met à peindre, quarante ans plus tard, ce qu’elle a vu à Auschwitz, Ravensbrück et Bergen-Belsen. Une œuvre sidérante d’une puissante unité, exposée à Paris à partir de cette semaine.

Ceija Stojka (1933-2013) n’a jamais perdu son regard d’enfant – de beaux yeux noirs et graves, comme ourlés, dans un visage poupin à l’ovale parfait. Ce regard fixe et profond, la petite tsigane venue d’Autriche – où, jusqu’à l’avènement du nazisme, elle avait grandi heureuse, parcourant les routes de Styrie en roulotte avec sa famille – l’a posé, à l’âge de 10 ans, sur l’inimaginable. Une rafle ayant conduit sa famille à Auschwitz en mars 1943, en même temps que 3 000 Tsiganes, la fillette et sa mère seront ensuite emmenées à Ravensbrück, où elles resteront quatre mois, au même moment que Germaine Tillion, puis à Bergen-Belsen – où se trouvaient aussi, cette fois, Anne Frank et sa sœur Margot, décédées du typhus peu avant l’arrivée des Alliés, en avril 1945. Ceija Stojka et sa mère, elles, survivront. L’enfant aura, en tout, passé deux ans dans les camps.

Fours crématoires, cadavres amoncelés, déchéance de corps suppliciés... Ces visions terrifiantes se sont imprimées à jamais au fond de ses rétines. Mais, même incrustées de la sorte, il lui est impossible d’en parler une fois de retour à Vienne, où, devenue adulte et pour nourrir ses enfants, elle vendra des tapis aux « gadjé » (les non-tsiganes), sur les marchés. Qui la croirait ? Elle-même, certains jours, doute de la réalité, se demande si elle n’a pas rêvé, ou bien si le rêve dure toujours – d’où le titre de l’un de ses livres, Je rêve que je vis ?, tout récemment traduit en français (éditions Isabelle Sauvage).

Près d’un millier de peintures

Il aura fallu quarante ans de « gestation » avant que cette parfaite autodidacte, presque analphabète, ne parvienne à mettre tout ça « en mots » avec la complicité de Karin Berger, une documentariste autrichienne devenue son amie. Quatre livres en tout seront publiés dans les années 80 et 90, faisant de Ceija Stojka la première témoin Rom du génocide tsigane (...)

elle peindra jusqu’à sa mort, chaque jour, assise à la table du salon, dans son petit appartement viennois rempli de bibelots, lunettes chaussées comme pour y voir plus clair à l’intérieur. Car c’est bien vers l’intérieur qu’elle se tourne : c’est là qu’elle va chercher toutes ces visions, restées captives pendant plus de quarante ans, mais qui doivent sortir coûte que coûte à présent. Arrestation de sa famille par les nazis, voyage en train pour Auschwitz, séances d’appel au milieu des baraquements, chiens aux gueules géantes, kapos si grands qu’on n’en voit que les bottes, et bien sûr des barbelés partout, enroulés jusqu’autour des bustes des mères... construisant au final une œuvre impressionnante, de près d’un millier de travaux.(...)