
Les policiers ont accumulé des millions d’heures supplémentaires non payées. Le métier est aussi marqué par une crise de sens et de nombreux suicides. Certains syndicats appellent ce 2 octobre à « une marche de la colère ». Les policiers ne pourront cependant s’exonérer d’une véritable introspection sur les dérives du maintien de l’ordre et les violences commises. Certains l’ont déjà entamé.
« On n’hésite pas à rappeler, à décaler, à refuser les congés pour les besoins du service. Les collègues sont à bout », remarque le syndicat SGP-Police (FO). Travaillant jusqu’à 15 heures d’affilée sans s’arrêter, les agents de police doivent parfois se débrouiller pour trouver de quoi manger, rien n’ayant été prévu. « Comment demander à un homme qui vient d’enchaîner dix heures de travail sans pause, ou qui a été rappelé sur un jour de congé qui lui a peut-être fait manquer un événement familial important, d’être irréprochable ? », interroge Thierry Clair, secrétaire national de l’Unsa Police.
Vives tensions entre la Bac et les CRS (...)
. « Des membres de police secours, habilités à intervenir suite aux appels qui arrivent au 17, ou d’autres qui officient dans les bureaux, se sont retrouvés à faire du maintien de l’ordre sans aucune formation, décrit Thierry Clair. Ils ont été sommés de constituer des unités provisoires pour un week-end. Certains y sont vraiment allés sous la contrainte. »
A Paris, une myriade de groupes et d’insignes – difficiles à identifier pour les citoyens – se sont retrouvés aux côtés de leurs collègues CRS et gendarmes mobiles : policiers piochés dans les commissariats, brigades anti-criminalité (Bac), compagnies de sécurisation et d’intervention (CSI), Brigades de répression de l’action violente motorisée (Brav), nouvellement créée face au mouvement des gilets jaunes… Ils utilisent tous des canaux radio différents et n’ont pas l’habitude de travailler ensemble. De vives tensions sont ainsi apparues entre ces différentes unités, notamment entre les CRS et les membres de la Bac aux méthodes souvent expéditives.
« Ces gars-là, lâchés en maintien de l’ordre, peuvent faire n’importe quoi » (...)
Le fonctionnement et l’organisation très hiérarchisée du côté des CRS et des GM facilite l’établissement des responsabilités : qui a donné l’ordre de se déployer à tel endroit, de charger ou de lancer des grenades. Les petits groupes en civil, casqués et souvent masqués, semblent, eux, avoir carte blanche. « Sur les 20 000 tirs de LBD enregistrés ces derniers mois, il y en a eu 3000 du côté des CRS et des garde mobile, 17 000 de l’autre... » , note Anthony Caille. (...)
Une stratégie qui « monte en puissance depuis deux décennies »
« Lorsque des agents de sécurité publique ont été mobilisés sur des opérations de maintien de l’ordre, alors même qu’ils ne disposaient pas de la formation adéquate, cela a entraîné certaines dérives sur le terrain », remarquaient déjà les sénateurs en juin 2018 dans un rapport consacré au malaise qui sévit dans la police. Un an plus tard, les « dérives » se sont multipliées. Le journaliste David Dufresne a recensé, entre novembre 2018 et juillet 2019, 860 signalements de violences, dont un décès (une dame de 81 ans, Zineb Redouane, décédée à Marseille après avoir été touchée par une grenade lacrymogène), 315 blessures à la tête, 24 éborgnés et 5 mains arrachées [1]. (...)
« Cette stratégie de contact et de judiciarisation du maintien de l’ordre n’est pas une doctrine d’ordre technique mais un choix politique fort, qui monte en puissance depuis deux décennies, analysent des policiers, adhérents du petit syndicat Sud Intérieur. Ce n’est pas nouveau, notamment pour les mouvements sociaux et les quartiers populaires, mais le maintien de l’ordre que l’on a vu ces dernières années a ouvert les yeux à de nombreuses personnes sur cette réalité. » (...)
Combien y a-t-il eu de blessés du côté des forces de l’ordre ? Difficile à dire. Le ministère ne donne aucun chiffre global. Pas plus que les syndicats qui évoquent « des milliers de blessés chaque année » sans que l’on connaisse la nature des blessures ou le nombre de jours d’ITT (incapacité temporaire de travail) [2]. Autre chiffre inconnu : le nombre de jours d’arrêts maladies. Faisant suite à des burn-out, les arrêts maladies sont également utilisés par les agents pour se soustraire à l’obligation de réprimer de plus en plus violemment, comme le rapportait un CRS témoignant dans le quotidien L’Humanité en décembre 2018.
Mettre à jour les responsabilités de la hiérarchie
Les syndicats majoritaires déplorent que les médias « tombent » systématiquement sur les policiers accusés d’avoir commis des violences illégitimes, et estiment qu’ils devraient bénéficier d’une justice d’exception. En mai dernier, ils se sont insurgés quand le procureur de la république de Paris a annoncé que les policiers soupçonnés de violences contre des manifestants seraient jugés comme des citoyens ordinaires, et renvoyés devant le tribunal. (...)
Certains syndicats contestent même la présence d’observateurs d’Amnesty international ou de la Ligue des droits de l’homme (LDH) lors des manifestations. Synergie Officiers (CFE-CGC) a récemment accusé la LDH de se rendre « complices des casseurs ».
« Il peut y avoir eu des violences illégitimes »
Tous les policiers ne partagent pas cet aveuglement corporatiste. Bien qu’habitué de sorties lapidaires sur les réseaux sociaux, où il attaque volontiers « minorités activistes », « contestataires » et « avocats militants », le Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN, affilié à l’Unsa) reconnaît qu’« après six mois de crise intense de Gilets jaunes, il peut y avoir eu des violences illégitimes » [3]. Les syndicats minoritaires, plutôt à gauche, estiment de leur côté qu’il est normal que des policiers puissent passer devant la justice. Ils considèrent même que ce serait là une bonne occasion de mettre à jour les responsabilités de la chaîne hiérarchique et pas uniquement des agents en première ligne dans la rue. (...)
Sur Twitter :
⚡️LA POLICE SORT ENFIN DE SON DEVOIR DE RÉSERVE !
#LindaKebbab admet que les #BlackBlocs pourraient être arrétés mais que les ordres ne sont pas donnés en ce sens !
#Castaner tente à tout prix de discréditer les #GiletsJaunes et met en danger FDO et manifestants à dessein ! https://t.co/Teha13Fh3w