
Depuis 2013, plus de 100 milliards d’euros de Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) ont été alloués aux entreprises. Dernièrement, un article paru dans Libération mettait en lumière qu’une partie des sommes empochées par le groupe Michelin pour conserver ou créer des emplois, lui avait servi à délocaliser sa production à l’étranger. En réalité, un tel détournement n’est pas vraiment un cas isolé. Explication.
Sur le site Michelin de La Roche-sur-Yon, promis à la fermeture depuis le 10 octobre, le doute n’est plus permis : le CICE a été réorienté aux dépens des 619 salariés qui y travaillent. Sur les 65 à 70 millions que le fabricant de pneumatiques admet avoir reçus, 4,3 millions en 2017 devaient servir à la rénovation d’ateliers et à l’achat de huit nouvelles machines pour son site vendéen. Mais comme l’a révélé un article de Libération, la direction a décidé quelques mois plus tard de stopper ses investissements à La Roche-sur-Yon. Ainsi, sur les huit machines acquises, six ont été envoyées dans des usines Michelin en Espagne, Roumanie et Pologne. Pour autant, ni l’entreprise ni Bercy n’envisagent le remboursement des sommes versées.
Si les dispositions légales du CICE n’ont pas été violées, le dispositif ne prévoyant aucune contrainte en matière d’emplois, l’esprit du Crédit d’impôt est tout de même quelque peu écorné. « Je propose un pacte de responsabilité aux entreprises : moins de contraintes sur leurs activités, et en même temps, une contrepartie : plus d’embauche », communiquait François Hollande en 2013 pour lancer le CICE. Dans un pas de deux amoureux avec le gouvernement socialiste, le patron du Medef d’alors, Pierre Gattaz, arborait même un pin’s promettant la création d’un million d’emplois. Six ans plus tard, le crédit d’impôt sur les salaires atteignant jusqu’à 2,5 fois le SMIC a rempli les trésoreries des grandes entreprises, mais n’a pas vraiment créé d’emploi. Pourtant, il a déjà coûté 11,59 milliards en 2013, 17,5 en 2014, 17,9 en 2015, 18,65 en 2016 et 23,2 en 2017. Et ce n’est pas fini.
L’argent avant les gens
Mais Michelin n’est pas la seule des 253 grandes entreprises de plus de 5000 salariés ayant profité du CICE à licencier ou réduire sa masse salariale. Entre 2013 et 2018, Carrefour a récupéré 744 millions d’euros à ce titre, en plus de 1,2 milliard d’exonérations de cotisations sur la Sécurité sociale ou le chômage. Sur la même période, le géant de la grande distribution a perdu environ 1800 postes. Mais la décrue n’est pas terminée. (...)
Dans le même secteur d’activité, Auchan vend 21 magasins cette année, laissant 723 salariés dans l’incertitude. (...)
Mais Michelin, Carrefour ou Air France ne sont pas des cas isolés ou de vilains petits canards du CAC40. En réalité, la liste des profiteurs du CICE est longue. Dans l’automobile, PSA empoche 80 millions en 2013 alors qu’elle ferme l’usine d’Aulnay-sous-Bois et supprime 8000 emplois. Depuis cette date, ce sont près de 25 000 postes qui ont disparu dans l’entreprise selon Jean-Pierre Mercier, un responsable CGT du groupe automobile. Pendant ce temps, plusieurs dizaines de millions d’euros disparaissaient des caisses de l’État chaque année au profit du constructeur. Même constat chez Renault (...)
La Poste, ou la SNCF privatisée récemment ne sont pas en reste. (...)
Le CICE en procès
La liste des entreprises qui détruisent des emplois en bénéficiant des largesses du CICE pourrait se poursuivre infiniment. Avec Total par exemple et ses moins 2000 postes en 2015. Ou encore Vivarte qui a liquidé plusieurs de ses enseignes et nombre de ses magasins malgré 45 millions de CICE reversés par l’État et 26 millions d’allégements de cotisations. Et tant d’autres. (...)
Malgré les sommes astronomiques, le gouvernement ne semble rien avoir à redire. Dépenser des dizaines de milliards en pure perte semble moins le préoccuper que d’économiser 3,4 milliards sur l’assurance chômage. Du coup, le procès du CICE est fait par d’autres. À Marseille, c’est la CGT du Carrefour du Merlan, dans les quartiers nord, qui attaque l’enseigne pour « détournement du CICE de son objet prévu par loi ». Confrontée à une réorganisation impliquant selon le syndicat une réduction de surface de l’hypermarché et la perte d’une centaine d’emplois, la CGT cherche à bloquer le projet en ferraillant sur les centaines de millions perçus par l’enseigne pour créer des emplois.
Le résultat de l’audience qui a eu lieu le 17 octobre devant le tribunal de grande instance de Marseille sera connu le 21 novembre. Une condamnation de l’enseigne représenterait un coup de tonnerre. Elle ouvrirait assurément de nombreuses procédures contre d’autres multinationales.
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