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Ces ultimes terres agricoles qui résistent encore à la bétonisation du « grand Paris » : le 21 mai un grand rassemblement à l’endroit où les travaux sont censés débuter dans quelques mois.
Article mis en ligne le 12 mai 2017

Ils cultivent du blé, du colza, du thym, vivent au rythme des saisons, se plient aux caprices de la nature. Mais leur horizon, c’est les avions, l’autoroute et Leroy-Merlin. Au nord-est de Paris, 700 hectares ont miraculeusement échappé à un demi-siècle de bétonisation. Dernier projet en date : EuropaCity. Ce gigantesque centre commercial et de loisirs signera-t-il la fin du grenier à blé parisien ? Le Collectif pour le Triangle de Gonesse refuse de s’y résoudre et organise le 21 mai un grand rassemblement à l’endroit où les travaux sont censés débuter dans quelques mois.

De larges balafres traversent le champ de blé sur plusieurs dizaines de mètres. Des traces de roues profondes laissées par un camion servant à faire des relevés géologiques. Le ballet des engins de chantiers a commencé début novembre sur les terres cultivées par Jacques Proix. « Oh l’chantier, oh là là… J’vais m’amuser pour reprendre ça au printemps ! » L’agriculteur de 58 ans n’était pas retourné sur cette parcelle depuis plusieurs jours. Casquette à rayures sur le crâne et veste polaire grande ouverte, il observe, incrédule, cette scène de désolation. Il sait pourtant qu’il n’est plus chez lui ici depuis cet avis d’expropriation trouvé dans sa boîte aux lettres il y a quelques mois. Maigre consolation, il pourra continuer à cultiver cette terre jusqu’au lancement des travaux. Alors, en cette fraîche matinée de février, cet homme placide et réservé laisse éclater sa colère. « Regardez ! Ils ont laissé du plastique partout, c’est dégueulasse ! » (...)

L’OVNI EuropaCity

Sur cette parcelle située au milieu du Triangle de Gonesse – 700 hectares de terres agricoles au nord-est de Paris –, une nouvelle gare de métro et de RER doit voir le jour. Pas n’importe laquelle : celle où est censée affluer, en 2024, une partie des 31 millions de visiteurs – deux fois plus que Disneyland Paris – attendus chaque année à EuropaCity. A la fois centre commercial et parc de loisirs, EuropaCity est un concept « unique au monde », s’enorgueillit son promoteur Immochan, filiale du groupe Auchan. (...)

Jacques Proix ne possède que 10% des terres qu’il cultive. Le temps des paysans-propriétaires est bel et bien révolu. « Mon père avait plus de 80 hectares et mon grand-père une bonne centaine. Moi, j’en ai 45, dont une vingtaine en précaire. Ça veut dire que je n’ai aucun droit dessus car j’ai été exproprié. » Dans la maison familiale, Jacques Proix ouvre la porte d’un petit bureau éclairé par une lumière blafarde. « Là, il n’y a que des papiers d’expropriation », lance-t-il en montrant une pile de documents jaunis haute de 50 centimètres. « Je passe devant les tribunaux au moins deux ou trois fois par an », explique-t-il. En jeu : le prix de la terre et du patrimoine familial. « Je vais perdre 2,4 hectares cette année. On me les paye à un prix inférieur au prix auquel je les ai achetés il y a 10 ans », peste l’homme, fataliste. Avant de se reprendre : « Si j’étais aigri à chaque fois que suis exproprié, je ne vivrais plus ! »

EuropaCity n’est que le prolongement d’un phénomène d’urbanisation vieux comme le béton. Mais ce projet aux dimensions inédites interpelle aussi par le choix du site : Gonesse et ses environs sont déjà saturés en centres commerciaux. (...)

Coincé entre les aéroport du Bourget et de Roissy et l’autoroute A1, le Triangle de Gonesse a contribué à faire du Val d’Oise le grenier à blé de la région parisienne. « Déjà sous l’Ancien Régime, Gonesse produisait le pain pour Paris », rappelle Jacques Proix, entre fierté et nostalgie. Aujourd’hui, ce sol calcaire très riche en limon constitue la dernière grande réserve de terres arables de la région parisienne. Cet espace tant convoité est devenu, avec Notre-Dame-des-Landes, l’un des symboles d’une France agricole grignotée par l’urbanisation incontrôlée. (...)

Dans l’Hexagone, l’équivalent d’un département comme l’Aube disparaît sous le béton tous les dix ans. Soit vingt mètres carrés par seconde. Une destruction silencieuse encouragée par l’État et les collectivités locales au nom du développement territorial et de l’emploi.

L’expropriation au quotidien (...)

Maraîchers, arboriculteurs, céréaliers. Ici personne n’échappe à l’incertitude causée par les expropriations en cascade. (...)

Une résistance en rangs dispersés

Si la bétonisation du Triangle de Gonesse suscite la colère des gardiens de la terre, la résistance s’organise en grande partie sans eux. Les défenseurs d’une agriculture biologique et de proximité sont majoritaires au sein du Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG), principal mouvement d’opposition à EuropaCity. Mais ils sont très minoritaires parmi les cultivateurs de la région, céréaliers à plus de 90%. « En Ile-de-France, c’est aux citoyens de se mettre en première ligne pour défendre les espaces agricole », tranche Bernard Loup, président du CPTG. Soucieux de renforcer le front de résistance, ce professeur de mathématiques à la retraite tente de rassembler ses troupes. Son ambition : « Faire échouer EuropaCity » afin que « ces espaces menacés puissent un jour être de nouveau destinés à des cultures maraîchères ou à de l’arboriculture. » (...)

L’enjeu agricole d’un des plus grands projets d’aménagement urbain de France semble également échapper à la population résidant autour du Triangle de Gonesse. Habitante de la commune voisine de Deuil-la-Barre, Sophie Charconnet est l’une des rares à avoir participé activement au débat public qui s’est déroulé l’an dernier entre mars et juillet. « Il faut absolument empêcher EuropaCity » de voir le jour, estime cette citoyenne engagée qui aimerait ouvrir une épicerie bio. Son leitmotiv : l’autonomie alimentaire. Aujourd’hui, « on doit presque aller à Rungis pour trouver une salade », regrette-t-elle. Un comble, en effet, pour une région qui a vu des générations de paysans cultiver du cresson, de la laitue et du persil. « Si EuropaCity voyait le jour, ce serait un point de non retour, estime-t-elle. Ces terres doivent rester agricoles. » Mais si le projet du groupe Auchan tombait à l’eau, la route de la reconquête serait encore longue. (...)

La fin d’un monde

La lutte est inégale entre, d’un côté, les derniers descendants des maraichers franciliens, et de l’autre, les promoteurs immobiliers soutenus par l’État et les collectivités locales. (...)