
Alors qu’un rassemblement est annoncé dimanche à Paris et que les appels se multiplient à la base, le Conseil français du culte musulman cristallise les critiques. Après la dissolution du collectif à l’origine de la manifestation de 2019 contre l’islamophobie, la mobilisation se fait toutefois en ordre dispersé.(...)
C’est une colère invisible qui commence à prendre forme. Depuis quatre mois que le gouvernement a lancé son offensive contre le « séparatisme », la réaction des Français de confession musulmane était surveillée de près. Une fronde part finalement des mosquées, vent debout contre le projet de « charte des imams », ce document écrit sous la dictée de l’exécutif par une poignée de responsables du Conseil français du culte musulman (CFCM) et qui doit accompagner la structuration de l’imamat en France voulue par Emmanuel Macron.(...)
En décembre dernier, Mediapart révélait comment ce texte censé organiser la fonction d’imam sur le territoire avait viré à un prêt-à-penser à destination de tous les musulmans de France. Au point que le 18 janvier, trois des huit fédérations de mosquées membres du CFCM – le Mili Görus (fondé par la diaspora turque), la fédération Foi et pratique (des traditionalistes du Tabligh) et le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF, rattaché à l’État turc) – ont catégoriquement refusé de signer le texte présenté en grande pompe à l’Élysée.
Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a répliqué par la menace dans la presse : « Nous allons particulièrement regarder ce qu’il va se passer dans les lieux de culte qu’ils gèrent… » Il a fort à faire. Car ces dernières semaines, ce ne sont plus trois fédérations mais des centaines de mosquées de tout horizon qui rejoignent le front du refus.
Mercredi 10 février, 500 cadres religieux, dont « 100 imams, 50 enseignants en sciences islamiques, 50 présidents d’associations, 300 étudiants en sciences islamiques », ont ainsi paraphé une tribune appelant à mettre un terme aux mesures d’« exception » que subissent les Français de confession musulmane, « chaque jour visés par des polémiques, calomniés, stigmatisés par des figures politiques parfois sans scrupules ».
Parmi les signataires, figurent des personnalités du culte très consensuelles comme Bougroune Belkacem, connu dans le milieu religieux cannois pour avoir monté une formation à la laïcité à la mosquée du quartier de la Bocca, ou Nassurdine Haidari, imam à Marseille engagé dans la lutte antiraciste, ex-militant socialiste.
D’autres incarnent une frange rigoriste. C’est le cas d’Ayoub Leseur, figure traditionaliste de la région parisienne, ou Nader Abou Anas, « imam YouTube » de la mouvance salafi. Le spectre est très large, mais le constat partagé.
« Aucun autre culte ne subit le même traitement ni la même criminalisation, qui se traduit par la mise en cause d’associations, de lieux de cultes et de dignitaires religieux, pour “faire passer un message” », regrette cette « Tribune de la dignité », dans une allusion aux menaces lancées en octobre dernier par Gérald Darmanin.
C’était trois jours après l’assassinat de Samuel Paty. Le ministre de l’intérieur avait annoncé des dissolutions d’associations et des perquisitions « pas en lien forcément avec l’enquête » sur l’attentat, « mais avec l’envie de faire passer un message ».
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« Les mosquées commencent à être en porte-à-faux avec leurs fidèles », décrypte Yasser Louati, ancien porte-parole du CCIF (collectif contre l’islamophobie en France). Elles n’ont plus d’autres choix que de se positionner dans le débat. »
Après des mois de silence, les réflexions bourgeonnent désormais sur la manière de s’opposer au gouvernement. Des initiatives fleurissent sur le net, comme le hashtag #Touchepasàmonimam, lancé par le CIMG, la fédération du Mili Görus, laquelle est pointée du doigt par le gouvernement depuis qu’elle a refusé de signer la charte des imams.
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Début février, des fidèles ont lancé de leur côté un hashtag #OnNeSeTairaPas, invitant des Français musulmans à retweeter des photos d’eux-mêmes avec le slogan peinturluré sur des pancartes, sur le modèle de « BringBackOurGirl » (mouvement qui réclamait la libération des lycéennes enlevées au Nigeria par Boko Haram). Très confidentielle, l’initiative semble cependant avoir engrangé davantage de soutien à l’étranger que sur le territoire français.
« C’est une communauté qui n’a pas de culture de la mobilisation, c’est un fait nouveau pour elle », analyse Farid Slim, imam de Chambéry, qui cite aussi la peur des représailles, susceptible de constituer un frein à l’engagement des Français de confession musulmane. Le religieux parle en connaissance de cause.
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Comme d’autres ministres du culte musulman, l’imam de Chambéry a paraphé un appel à mobilisation publié le 7 février par la coordination contre la loi séparatisme, et signé par un collectif disparate (le Parti des indigènes de la République, l’Union juive française pour la paix (UJFP), la Brigade anti-négrophobie, ou des personnalités engagées dans le dialogue inter-religieux comme le rabbin Gabriel Hagaï, des universitaires comme François Burgat ou encore le journaliste Alain Gresh).
Des médias confessionnels comme Des dômes et des minarets ou Islam et info figurent aussi dans la liste. Un rassemblement est prévu dimanche 14 février au Trocadéro à Paris, sur le parvis des droits de l’homme. Et un autre est d’ores et déjà annoncé pour le 20 mars.
En parallèle, un autre mouvement s’est créé, Le front contre l’islamophobie, qui regroupe une vingtaine d’associations autour du sociologue Saïd Bouamama. Eux appellent à un rassemblement le 21 mars.
La mobilisation dans la rue, si elle se confirme, se fera donc en ordre dispersé.
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« Il faut investir tous les mouvements car ce qui arrive est grave, prévient Abdourahmane Ridouane. On est en train de nous préparer un système de double loi, mais les Français doivent comprendre que ça nous concerne tous. Les musulmans sont dans le viseur aujourd’hui. Avant nous, c’était les gilets jaunes. »
Imaginez une seconde être musulman en France aujourd’hui et donc obligé de subir ces stigmatisations officielles et médiatiques de votre religion ou de votre culture. Notre devoir est d’être solidaire sauf à renoncer à notre propre humanité. @Mediapart https://t.co/jTY62eGxph
— Edwy Plenel (@edwyplenel) February 12, 2021