
Le 26 septembre, en fin de matinée, le monde médiatique s’est arrêté de tourner... avant de se mettre à tourner en rond. Le décès de Jacques Chirac a fait basculer toutes les chaînes d’info en édition spéciale, évinçant totalement des écrans l’incendie de l’usine chimique Lubrizol de Rouen, classée « Seveso seuil haut ». Ce fut également le cas sur TF1 et France 2, qui ont également bousculé leurs programmes, passant sous silence une catastrophe de grande ampleur, aux conséquences sanitaires encore inconnues.
Des envoyés spéciaux s’étaient déjà rendus sur place ; des plateaux s’étaient mis en place pour s’interroger sur les risques et les tenants et aboutissants de ce grave accident ; les invités s’apprêtaient à réagir aux déclarations de Christophe Castaner… Et puis le virage fut subit. Aux alentours de midi, jeudi 26 septembre, l’AFP annonçait la mort de Jacques Chirac. Les chaînes basculent, sans transition ou presque, d’une édition spéciale à une autre, comme ce fut le cas sur France Info :
Les établissements scolaires ont été fermés dès 8h dans 13 communes […] à la suite de cet important incendie qui s’est déclenché cette nuit [on entend hors-champ : « Chirac »], important incendie alors que nous apprenons selon une dépêche de l’AFP le décès de Jacques Chirac, l’ancien président de la République est décédé […] Voilà donc on va évidemment parler un peu moins de cet incendie à Rouen pour évoquer la mort de l’ancien président de la République.
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Et de fait, sur les chaînes d’info en continu, une autre journée commence puisque la couverture de l’incendie de Rouen sera « évidemment » totalement éclipsée par une véritable hagiographie en continu, comme l’évoque un article de Samuel Gontier ainsi qu’un montage d’Arrêt sur images. Au point que Christophe Castaner, interviewé sur BFM-TV alors qu’il se trouve à Rouen sera interrogé… sur la mort de l’ancien Président (
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une « d’anecdotes » de Nathalie Saint-Cricq, toutes plus émouvantes les unes que les autres :
[Sa mère] lui faisait plein de cadeaux, et même quand elle lui offrait un bonbon, pour pas qu’il n’ait à se fatiguer en ouvrant le papier du bonbon, elle le faisait pour lui donner.
Une information de premier plan, donc, alors qu’une usine de produits chimiques est en train de brûler en plein Rouen… Le 13h de TF1 n’est évidemment pas en reste, dominé par une édition spéciale de plus de deux heures et demie. (...)
Gilles Bouleau, daigne évoquer la catastrophe de Rouen… en 18 secondes chrono :
En un mot, un mot tout de même du reste de l’actualité de ce jeudi avec cet incendie la nuit dernière dans une usine classée Seveso à Rouen. Une très épaisse fumée noire s’est propagée dans le ciel, les habitants ont été confinés pendant plusieurs heures, une bonne partie de la journée et ils ont pu rentrer chez eux il y a quelques minutes. Il n’y a aucune victime. Voilà.
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Voilà… Ou comment l’information concernant une catastrophe majeure, aux conséquences sanitaires encore incertaines, a été écrasée sous les éditions spéciales en hommage à Jacques Chirac. Chaque chaîne se disputant, qui plus est, le portrait le plus hagiographique, quitte à passer l’éponge sur les aspects les plus controversés et critiqués de sa politique. Et s’il n’est pas anormal de revenir sur la carrière d’un ancien président au moment de sa mort, la journée du 26 septembre a donné une nouvelle illustration des misères de la hiérarchie de l’information sur les grandes chaînes. Mais également de la priorité accordée à « l’anecdotique », travers majeur d’un journalisme politique dépolitisant, dominé par les bruits de couloirs et autres « souvenirs marquants ». (...)
Bref : cette journée a fonctionné, à bien des égards, comme des lunettes grossissantes des travers ordinaires à l’œuvre dans les grands médias.
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