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Chypre : un cercle vicieux qui rappelle celui de la Grèce
Article mis en ligne le 3 avril 2014
dernière modification le 31 mars 2014

A un an du « plan de sauvetage » conclu entre le gouvernement chypriote et la Troïka (fin mars 2013) en contrepartie d’un prêt de 10 milliards, quel est le bilan des mesures d’austérité mises en œuvre ? Quel est leur impact sur la population ?

L’actuel gouvernement de droite à Chypre est monté au pouvoir, il y a un an, suite à une campagne de longue durée, soutenue aussi par le parti socialiste, contre le parti de gauche, AKEL, qui gouvernait le pays. Cette campagne reproduisait dans une très large mesure le discours de la coalition gouvernementale en Grèce. Selon ce discours, la crise économique résulte d’une fonction publique hypertrophiée et inefficace qui génère des déficits publics insoutenables et donc une dette publique trop élevée. Ce discours purement idéologique est fondamentalement erroné aussi bien pour le cas de la Grèce que pour celui de Chypre.

Malgré la corruption et avec une dette publique élevée mais stable autour de 115% du PIB, dans les années 2000, la Grèce a connu une croissance du PIB et de la productivité remarquable, alors que les dépenses publiques y étaient sensiblement inférieures à la moyenne de la zone euro. Selon le discours dominant, les fonctionnaires publics dépassaient 1,5 million. Il s’est avéré finalement, après une recherche officielle récente, que le nombre de fonctionnaires était inférieur de moitié à celui diffusé par la coalition gouvernementale.

Invoquer ce même discours à Chypre est complètement ridicule : à Chypre, il n’y avait ni de scandales significatifs (sauf celui des banques privées bien sûr et celui d’une imposition des entreprises qui était la plus faible de l’UE), ni une dette publique élevée. À la fin des années 2000, la dette publique chypriote était non seulement sensiblement inférieure à la moyenne de celle de la zone euro et à celle de l’Allemagne, mais elle respectait encore le critère de Maastricht, selon lequel la dette publique ne doit pas dépasser 60% du PIB. Cependant, les partis de droite et le parti socialiste « maximalisaient » la responsabilité des déficits publics pour « minimiser » celle des banques. Dans les années 2010, la croissance des déficits publics était directement liée aux répercutions de la crise mondiale et européenne sur l’économie chypriote et surtout à la recapitalisation des banques privées en difficulté. Aucune politique d’austérité budgétaire ne pouvait faire face à la crise d’un secteur bancaire privé dont les pertes ont été estimées à 10 milliards d’euros, dans un pays où le PIB était inférieur à 18 milliards. Mais le mensonge répété maintes fois quotidiennement est efficace. Une large partie de la population chypriote considère le fonctionnaire public, dont le salaire est plus élevé que celui de l’ouvrier dans le secteur privé, comme autant responsable de la crise que le banquier. En réalité, la différence des niveaux de salaires entre le secteur public et le secteur privé à Chypre résulte du fait que le coût unitaire du travail dans le secteur privé est parmi les plus faibles de la zone euro (avec celui du Portugal et de la Grèce).

Le « plan de sauvetage » cependant ne se limite pas au secteur bancaire. Il impose une austérité budgétaire avec des conséquences très graves sur les conditions de travail, notamment sur les salaires des fonctionnaires, sur les bénéficiaires d’aide publique ainsi que sur les services publics (...)

Les politiques d’austérité rendent la gestion de la crise bancaire extrêmement difficile et cela malgré la condition que la Troïka a imposé uniquement à Chypre afin de lui accorder le prêt de 10 milliards : la confiscation de tous les dépôts bancaires au-dessus de 100 000 euros de la Banque Populaire et de presque 50% de la même catégorie de dépôts de la Banque de Chypres |1|. La récession de l’économie (-2,4 en 2012, -5,4 en 2013) qui continue en 2014 et l’augmentation exponentielle du chômage (qui avoisine 20%) font augmenter les actifs toxiques des banques (estimés à 27 milliards d’euros) qui ne peuvent toujours fonctionner que dans le cadre extrêmement protectionniste adopté : contrôle strict des mouvements de capitaux, plafond journalier de 300 euros de retrait de liquide avec les cartes bancaires, etc. Les banques qui demeurent privées, toujours gérées par le même establishment économique et politique qui les a conduits à la faillite, appliquent toujours la même politique de taux d’intérêts élevés qui ne permet pas la diminution de la récession et le redémarrage de l’économie.

Il s’agit d’un cercle vicieux qui rappelle celui de la Grèce. Dans ce pays, les politiques de la Troïka rendent la dette publique insoutenable de manière directe, alors qu’à Chypre la dette publique augmente dangereusement via la dette privée et la crise bancaire. (...)

Le mouvement populaire contre les mesures d’austérité n’est pas encore très combatif et massif. Il y a bien sûr quelques grèves, notamment dans les entreprises publiques, et quelques mobilisations remarquables, mais la population semble se trouver encore dans un état de choc qui la paralyse. La crise chypriote n’a pas (encore ?) conduit à la radicalisation sociale et politique constatée en Grèce. Cette situation est due en partie aux traditions du mouvement ouvrier chypriote : pendant les 54 années de l’indépendance chypriote, le parti de gauche a participé à 44 années de coalitions gouvernementales, en collaboration avec une partie de la droite. Cela lui a permis de travailler dans le sens d’une distribution moins injuste des gains de la croissance économique, mais il a empêché le développement des traditions d’auto-organisation et de combativité du mouvement ouvrier.