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Claire Hédon face à Sonia Mabrouk (Europe 1) : l’art de l’interrogatoire policier
Article mis en ligne le 4 mars 2021

Le 12 février, la Défenseure des droits Claire Hédon accordait un entretien à France Info à l’occasion du lancement de la plateforme gouvernementale contre les discriminations. Une interview au cours de laquelle elle soumet une proposition : expérimenter l’arrêt des contrôles d’identité à répétition dont certains jeunes des quartiers populaires sont la cible, et dont elle critique l’efficacité [1]. Une intervention qui n’a visiblement pas plu à Sonia Mabrouk qui soumet la Défenseure des droits, quatre jours plus tard, à un véritable interrogatoire dans la matinale d’Europe 1.

« La proposition choc » de Claire Hédon. Evoquée en ces termes au 20h de France 2, l’intervention de la Défenseure des droits sur France Info (à lire en annexe) a d’abord et avant tout été un « choc » pour les principaux syndicats de police… En plus d’avoir suscité les réactions de plusieurs formations politiques de droite et d’extrême droite [2].

Un tollé suffisant pour que les médias s’agitent à leur tour, accompagnant pour certains comme il se doit ce qu’il est convenu d’appeler, dans ce petit milieu, une « polémique ». Intervenant qui plus est dans un agenda médiatique hystérisé – « islamo-gauchisme », emballement autour de l’affaire de Trappes [3], policiers pris à partie à Poissy, loi « Séparatisme » [4]. Un agenda polarisé par les questions sécuritaires et les obsessions réactionnaires, dont l’organisation du long « débat » entre Gérald Darmanin et Marine Le Pen sur France 2 le 11 février a offert une sinistre illustration.

Dans un tel contexte, on ne pouvait attendre de l’intervieweuse en chef d’Europe 1, Sonia Mabrouk – experte ès sécurité intérieure et maintien de l’ordre – qu’elle fasse baisser la tension. On aurait pu attendre, en revanche, qu’elle permette a minima à la Défenseure des droits de développer les arguments à l’origine de sa proposition sur l’expérimentation temporaire de zones sans contrôle d’identité, et au-delà, d’informer sur son rôle en matière de lutte contre toutes les discriminations.

Raté. (...)

On ne s’étonnera pas que la journaliste reprenne à son compte le bréviaire des principaux syndicats de police, elle qui déclarait ouvertement sa flamme aux dites « forces de l’ordre » lors de la venue d’Alain Minc dans sa matinale le 16 juin 2020 : « Les policiers sont les piliers de notre démocratie ».

Et le contrôle d’identité de Claire Hédon commence très fort :

Bienvenue à vous, et bonjour Claire Hédon. Est-ce qu’il faut désormais vous appeler la défenseure des zones de « non droit » ? (...)

L’interrogatoire est un art journalistique. Et les sommations s’éternisent :

Vous le reconnaissez ? Il existe en France des zones de « non droit » ?

Cette fois-ci, il n’aura fallu que quatre secondes à la journaliste pour de nouveau interrompre son invitée :

Mais est-ce qu’ils le peuvent [aller dans ces quartiers] ? Madame Hédon, est-ce qu’il y a des quartiers totalement aux mains des dealers, des délinquants qui font la loi ?

Alors que Claire Hédon parvient enfin à évoquer la question des évaluations publiques des contrôles d’identité, Sonia Mabrouk coupe court et réoriente le cadrage du débat :

Mais Claire Hédon, pardonnez-moi ! Vous le demandez [la traçabilité des contrôles d’identité] dans un contexte qui est particulier. Vous avez cité Poissy, mais plus largement, les policiers sont pris pour cible, ils sont régulièrement agressés, menacés, attaqués notamment avec des tirs de mortier. Ils ont pris votre proposition comme une « gifle » supplémentaire aujourd’hui. Qu’est-ce que vous leur répondez ?

On comprend bien vite que se justifier (démarche à laquelle se livre Claire Hédon) ne sert à rien, tant l’intervieweuse n’a cure des réponses, écourtées pour laisser place à la partition des syndicats de police :

Mais, est-ce que ce sont les policiers qui sont le problème aujourd’hui dans les quartiers ? Madame Hédon, est-ce que ce sont les policiers ?

Et rebelote après quatre secondes (...)

La Défenseure des droits doit-elle une nouvelle fois montrer patte blanche en affirmant qu’elle ne passe « aucunement d’appels à la haine d’un côté ou de l’autre » ? Sonia Mabrouk fulmine (en interrompant encore) (...)

La fin du contrôle d’identité approchant, la Défenseure des droits précise à son « interlocutrice » que l’interrogatoire qu’elle lui fait subir porte sur des sujets plutôt éloignés de ceux qu’elles traitent principalement, cherchant de nouveau à expliquer ses missions sociales en évoquant (entre autres) la question du chômage et de « l’accès à l’emploi ». « Futilités » pour Sonia Mabrouk, qui n’en démord pas et revient à sa priorité :

Une maman qui va en burkini dans une piscine, est-ce que c’est une rupture d’égalité ou pas madame Hédon ?

Fin de l’interrogatoire, qui entre sans nul doute dans notre palmarès des plus éloquents exercices de journalisme policier. (...)

Au terme de l’entretien, on n’aura pas beaucoup réfléchi. Mais une chose est sûre : les applaudissements des syndicats de police couvraient le râle d’agonie du journalisme. (...)

Annexe : « L’intervention de la discorde », Claire Hédon, France Info, 12 février

Cela fait un moment que l’on demande que soient menées des expérimentations parce qu’au bout d’un moment dans certains quartiers, pour certains jeunes, cela devient insupportable. Donc, est-ce qu’on ne peut pas expérimenter l’arrêt du contrôle d’identité : des zones sans contrôle d’identité. Dans 95% des cas les contrôles d’identité ne donnent rien. On nous a dit que c’était trop compliqué de faire des expérimentations avec le récépissé ou en quantifiant le nombre de contrôles. Mais qu’est-ce qu’on est en train de faire en ce moment avec le couvre-feu et le confinement ? On a été capable de savoir le nombre de contrôles qui ont été faits et le nombre d’amendes qui ont été données.