
Les risques de ruptures d’alimentation en eau potable ne sont plus une réalité lointaine. La multiplication des sécheresses en France métropolitaine les rend omniprésents, même sous nos latitudes. Plusieurs villes commencent à s’y préparer. La question de revoir la priorité donnée aux différents usages de la ressource est posée, et avec elle celle de son partage.
L’histoire n’avait pas vraiment fait la une des journaux, mais elle n’était pas non plus passée inaperçue. Le 6 novembre 2018, à l’heure où l’automne est censé lessiver les coups de chaud de l’été, deux villages de l’avant-pays savoyard pataugeaient en pleine pénurie d’eau potable. Épuisés par une sécheresse qui durait depuis juin, les robinets avaient tari, et les quelques gouttes tombées en octobre n’y avaient rien changé : pendant un mois, les communes de Saint-Franc et de Saint-Jean-de-Couz avaient dû faire appel à des camions-citernes, faute de pouvoir encore puiser dans leurs rivières à sec. Cela aurait dû être une anecdote. C’était en fait un préambule. L’été suivant, en 2019, l’Ariège, le Lot et la Corrèze allaient cumuler à leur tour 100 jours de rupture d’approvisionnement en eau potable. En Corrèze, les 4 000 habitants de huit villages du plateau bortois seraient, là encore, ravitaillés par camions-citernes, leurs captages profonds ne suffisant plus à les alimenter. (...)
La situation ne s’est pas (encore) répétée cette année, mais beaucoup d’acteurs le notent : l’eau potable, en France métropolitaine, n’est d’ores et déjà plus une ressource abondante. Des préoccupations que l’on croyait réservées à des pays lointains ou à des temps futurs sont en train de nous rattraper. (...)
« 2020 est la 4 e année consécutive à afficher une sécheresse record » . (...)
« Nous touchons du doigt ce que les climatologues avancent depuis des années », insiste Nicolas Chantepy, directeur général adjoint de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse. Si les derniers scénarios du Giec (groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat), publiés en 2013-2014, ne prévoient pas de déficit global de précipitations, ils envisagent en revanche leur redistribution dans le temps et sur les territoires. (...)
le maître mot, insistent les spécialistes, va être le partage, et avec lui la redéfinition des priorités accordées aux usages que l’on fait de la ressource. Si tous les secteurs sont appelés à juguler leur consommation, tous ne sont pas interpellés à la même échelle.
La nécéssité de la concertation (...)
Côté particuliers, chaque foyer use en moyenne 120 m 3 d’eau par an - ou chaque individu 150 litres par jour (1). « Mais nous ne consommons réellement que 3 litres d’eau par jour : tout le reste, nous le renvoyons dans les tuyaux », souligne Nicolas Chantepy. Pareil pour l’industrie, et plus singulièrement les centrales nucléaires, pour lesquelles l’eau est indispensable en très grande quantité. « Une fois le réacteur refroidi, elles la rejettent immédiatement dans l’air et les rivières. »
Reste l’agriculture, qui, développement des végétaux oblige, absorbe quasi intégralement ce qu’elle puise. Avec cette particularité, en sus, de le faire au printemps et en été, à l’heure où, justement, l’eau commence à manquer. (...)
« Chaque puits privé puise sur une nappe qui appartient à tous », rappelle Emma Haziza. « Il ne s’agit pas de polariser les débats, ni de nier le rôle essentiel que joue l’agriculture, poursuit l’hydrologue, mais il n’est plus possible, aujourd’hui, de laisser chacun décider ce qu’il peut faire de la ressource sans plus de concertation, surtout lorsqu’il s’agit de grosses installations destinées à l’agriculture intensive. »
Certes, des commissions locales de l’eau existent, note-t-elle, mais ce n’est pas suffisant. (...)
Complexe, la réponse appelle une réflexion globale.