
Au sein du projet Climatoscope, David Chavalarias et ses collègues étudient la structure, les tactiques et les arguments des réseaux climatosceptiques sur Twitter. Des réseaux bien organisés, particulièrement actifs depuis quelques mois, dont l’objectif est de semer le doute sur la réalité du changement climatique, et de ralentir toutes les actions visant à réduire l’empreinte de l’humanité sur le climat.
David Chavalarias : Les climatosceptiques, ou climato-dénialistes comme on les appelle aussi, sont des personnes qui rejettent les principales conclusions de la science du climat et des synthèses du Giec, qui reflètent l’état des connaissances sur le climat et le changement climatique. En particulier, ils nient le fait que le réchauffement climatique soit d’origine anthropique et qu’il va causer des dégâts considérables. Pour certains d’entre eux, il n’y a pas de changement climatique. Pour d’autres, il est dû à la variabilité naturelle du climat et donc on ne peut rien y faire. Certains vont jusqu’à dire que le CO2 est bon pour l’Homme et la planète. (...)
On observe très clairement l’intensification des échanges lors des COP, leur atténuation pendant les fêtes de Noël et la suractivité de la communauté dénialiste depuis l’été 2022. (...)
D.C. : J’ai lancé en 2015 avec Maziyar Panahi un observatoire, appelé le Climatoscope, pour analyser le débat climatique sur la plateforme Twitter à l’échelle mondiale, en français et en anglais. L’observatoire collecte des centaines de milliers de tweets sur le sujet par semaine. Avec nos collègues Paul Bouchaud et Victor Chomel, nous avons étudié comment ce débat évolue dans le temps, notamment à l’occasion d’événements climatiques extrêmes ou de sommets internationaux sur le climat. Nous identifions les forces en présence et les stratégies des différents camps pour faire passer leurs messages.
Dans le cas des groupes dénialistes, nous nous sommes intéressés plus particulièrement à la manière dont ils arrivent à persuader une partie non négligeable de la population de croire à des pseudo-faits, qui vont à l’encontre de ce qui est accepté scientifiquement et de ce que ressent la population année après année. Il y a un aspect de guerre communicationnelle, où un groupe très minoritaire essaie d’imposer ses vues, ou pour le moins semer le doute chez une portion croissante de la population. Depuis cet été en France, on observe un regain d’activité climatosceptique venant d’environ 10 000 comptes Twitter qui, en majorité, faisaient partie de la sphère antivax et anti-système d’orientation alt-righ pendant la pandémie et dans une moindre portion, des mouvances d’extrême droite comme Reconquête !.
Le regain de climato-dénialisme que l’on observe depuis l’été 2022 semble avoir, pour une large part, une origine géopolitique. (...) 60 % de la communauté climato-dénialiste active en 2022 a participé à des campagnes numériques pro-Poutine (...)
D.C. : Leur première caractéristique est bien sûr de diffuser des informations fausses ou des présentations trompeuses de vrais résultats sur le climat. Ensuite, ils présentent une suractivité par rapport à ceux qui défendent le consensus climatique. Ils compensent le fait d’être minoritaires par une forte présence en ligne. Une autre caractéristique est que les « experts » climatosceptiques s’expriment sur tout. C’est une différence par rapport à ceux qui défendent la réalité du changement climatique, qui s’expriment principalement sur leur domaine de compétence. De plus, les comptes climatosceptiques n’ont pas peur de se contredire eux-mêmes. (...)
On observe aussi que les climatosceptiques pratiquent régulièrement des attaques ad hominem. Ils attaquent en particulier les scientifiques du Giec pour créer de la polémique et les délégitimer. Les dénialistes relaient 3,5 fois plus de messages « toxiques » que les autres communautés.
Autre caractéristique, ces communautés ont un taux de comptes inauthentiques (des robots ou personnes payées pour relayer des messages) près de trois fois supérieur à celui des autres communautés. Il est donc très probable qu’elles s’adonnent à des pratiques dites d’astroturfing, dont le but est de constituer une foule factice pour faire croire qu’une cause est beaucoup plus soutenue dans la population qu’elle ne l’est réellement. Enfin, on observe des patterns d’activité très spécifiques. Par exemple, plusieurs lundis de suite, ils vont tous se mettre à défendre l’idée que le CO2 est bon pour les plantes.
Quels sont les arguments qu’ils développent ?
D.C. : Ils sont nombreux et variés. Il y a par exemple l’appel au sens commun, qui ne vaut rien scientifiquement. (...)
Il y a des arguments sur l’immoralité des défenseurs du climat à partir de faits anecdotiques, comme le compostage humain, pour dire, regardez, ils sont fous. On trouve des arguments complotistes du genre contrôle des populations. (...)
Enfin, beaucoup de messages visent à dénigrer l’expertise des membres du Giec et de leurs relais.
Comment cette communauté est-elle structurée ?
D.C. : Le climatoscepticisme est composé de trois grands courants au niveau mondial. On a d’abord le climato-dénialisme, aux motivations économiques. Ce sont par exemple de faux militants payés par les industries fossiles (...)
Il y a ensuite les climatosceptiques politiques. Ceux-ci rejettent la réalité du réchauffement climatique ou dénigrent les mesures proposées pour y remédier avant tout pour nuire à leurs opposants politiques qui les défendent (...)
Enfin, la troisième catégorie est le climatoscepticisme géopolitique qui provient de pays aux régimes totalitaires. Pour ces régimes, pour le Kremlin par exemple, le changement climatique est un bon terrain pour diviser les populations et affaiblir les démocraties (...)
Le regain de climato-dénialisme que l’on observe depuis l’été 2022 semble avoir pour origine, pour une part importante, ce troisième courant. (...)
des comptes qui auparavant semaient la discorde sur les vaccins contre le Covid-19, et qui, après avoir relayé la propagande du Kremlin autour de la guerre en Ukraine, se sont mis à défendre des thèses climatosceptiques (...)
La force des climato-dénialistes est d’avoir un agenda politique tout en le cachant (...)
Les scientifiques sont harcelés, dénigrés, on leur dit qu’ils servent les élites, qu’ils ont un agenda politique. C’est la stratégie des « cinq D » : discréditer, déformer, distraire, dissuader, diviser. On peut en rajouter un sixième : faire douter...
Quel est l’impact de ces réseaux climatosceptiques ?
D.C. : Le climatoscepticisme est en hausse. Certains sondages le montrent et on l’observe aussi sur Twitter. Mais il a aussi un impact réel sur les scientifiques. (...)
Pensez-vous que l’action climatique des États soit ralentie par ce type de militantisme numérique climato-dénialiste ?
D.C. : Ce n’est que mon opinion mais j’en suis convaincu. On le voit sur les énergies renouvelables. Il y a de grands débats sur les réseaux sociaux sur l’idée qu’elles ne sont pas efficaces, et certaines collectivités territoriales et le gouvernement deviennent plus rétifs à s’engager sur cette voie. (...)
C’est la stratégie de division : plus le pays est divisé, moins vous pourrez mettre en œuvre des politiques publiques audacieuses efficaces pour traiter un problème majeur comme le changement climatique.C’est la stratégie de division : plus le pays est divisé, moins vous pourrez mettre en œuvre des politiques publiques audacieuses efficaces pour traiter un problème majeur comme le changement climatique. (...)
Ce type de militantisme climatosceptique freine donc a priori la diffusion des connaissances scientifiques et des conclusions du Giec.