
En 2008, la commémoration du 40e anniversaire de mai 68 avait été celle d’un mai 68 « consensuel », autrement dit « culturel » dont quelques figures (trop) bien connues avaient monopolisé l’interprétation. En ce début avril 2018, alors que Daniel Cohn-Bendit, Serge July ou Henri Weber ont à peine commencé leur marathon médiatique, la célébration s’annonce encore comme un océan de dépolitisation, de mièvreries et de récupération. « Sous les pavés 2018 », une série d’entretiens diffusés quotidiennement sur France Info n’est que l’une des vaguelettes de cet océan. Mais une vaguelette malheureusement représentative de biais récurrents lorsqu’il s’agit de traiter, dans les médias dominants, de la plus grande grève générale que la France ait connue depuis l’après-guerre.
Du lundi au vendredi, Olivier de Lagarde propose dans « Un monde d’action », une interview de cinq minutes, diffusée cinq fois dans la journée, avec un « acteur de la vie publique qui vient défendre une idée, un projet ou une initiative pour changer le monde ». Le plus souvent des représentants de start-up branchés viennent présenter leur dernière application pour smartphone, à moins que ce ne soit un « associatif » perfusé de subventions publiques qui ne vienne expliquer comment il lance des actions en faveur du « développement durable » en partenariat avec des multinationales.
Une émission un peu convenue qui exalte donc la bonne-volonté et l’initiative individuelles pour « changer le monde »... Et comme mai 68 peut décidément être mangé à toutes les sauces médiatiques, nul ne sera surpris qu’Olivier de Lagarde rebaptise son entretien quotidien « Sous les pavés 2018 » et ajuste l’angle sous lequel il questionne son invité pour se demander : « S’il pouvait lancer un pavé, quel combat choisirait-il ? »
Cinquante ans après 68, en plein mouvement social, il n’était pas très difficile de dénicher des invités susceptibles d’entrer en résonnance avec les « évènements de mai ». Alors que de nombreuses universités sont bloquées, alors que les syndicalistes du rail, de la santé et de l’éducation s’organisent pour s’opposer dans la durée aux plans libéraux du gouvernement, alors que des collectifs organisent les luttes partout en France, on aurait pu penser – et ceci que l’on soit « pour » ou « contre » ces mouvements – qu’ils seraient les premiers invités pour évoquer des évènements qui représentent un acmé et une référence toujours vivante des luttes sociales en France.
Mais alors que les opposants aux audacieux projets gouvernementaux n’ont pas vraiment le vent en poupe dans les médias, et que mai 68 y est tendanciellement ramené à une vaste kermesse de « la jeunesse », il ne fallait pas trop se prendre à rêver ! (...)
On peine à voir ce qui dans ce robinet d’eau tiède pourrait évoquer en quoi que ce soit les évènements de mai 68… Alors même que certains de ces invités pouvaient avoir des choses plus percutantes et (im)pertinentes à dire, la titraille choisie par France Info révèle la ligne éditoriale d’une émission conçue pour être apolitique, individualisante et… consternante d’anachronisme ! (...)