
A force de se presser à prendre des selfies, on pourrait bien perdre la capacité à laisser se fondre nos pensées dans un paysage ou une œuvre d’art.
Vous êtes sur une plage magnifique. La mer est bleu turquoise, elle scintille sous les rayons blancs du soleil du matin. Une myriade de clignotements argentés, dont le rythme ondulant est une musique pour les yeux. Vous vous laissez bercer par ce rythme, et par le clapotis régulier des vagues. Le regard plonge au loin, dans la ligne d’horizon plus foncée. Il s’élargit, comme si votre champ de vision était plus vaste. Votre cœur s’ouvre. Vous ressentez un grand bien-être, sous ces rayons qui vous réchauffent. Quand à côté de vous, une personne se prenant en selfie attire votre regard et vous tire hors de votre expérience contemplative.(...)
L’expérience que je viens de décrire, je l’ai vécue des dizaines de fois cet été. Impossible d’aller dans un endroit un peu touristique sans voir des grappes de touristes se mettant en scène pour des photos prêtes à “instagramer”. Souvent, trop souvent, cette vision de la mise en scène avait pour effet de détruire une partie de mon bonheur en m’extrayant de ma contemplation. Au fur et à mesure du voyage, ce sentiment, quand il se reproduisait, me déprimait de plus en plus.(...)
Et si cela me déprime, ce n’est pas seulement pour moi, mais parce que je pressens tout ce que cela pourrait, je crois, impliquer pour l’évolution de l’humanité (oui, rien que ça). Et cela, bien sûr, dépasse Instagram, les selfies et les vacances en toute tranquillité, pour toucher plus largement à notre capacité à nous laisser absorber par une expérience quelconque, à l’ère de la vie connectée.
S’oublier soi-même, chasser le flux des pensées et des multiples choses de la vie pratique procure un grand bien-être. Toute personne qui a fait un peu de yoga ou de méditation le sent, le sait confusément. Quel bonheur de se plonger dans la lecture, et de n’en relever la tête que plusieurs heures après, comme déphasée par cette plongée en apnée. Lire jusqu’à en oublier totalement la notion de l’heure, l’endroit, tant l’esprit est absorbé dans d’autres contrées. La contemplation rend profondément heureux et heureuse.
Instagram compresse l’expérience esthétique (...)