
Dans les minutes qui ont suivi la proclamation des résultats du premier tour, Anne Hidalgo (PS), Yannick Jadot (pôle écologiste) et Fabien Roussel (PCF) ont appelé à faire barrage à l’extrême droite lors du deuxième tour en mettant dans l’urne un bulletin de vote en faveur d’Emmanuel Macron. Leur électorat les suivra à coup sûr…
Pour Jean-Luc Mélenchon, ce fut tout différent. « Nous savons pour qui nous ne voterons jamais. Il ne faut pas donner une seule voix à madame Le Pen » a-t-il martelé. Mais, entre l’abstention et le vote Macron, il ne s’est pas prononcé, s’en remettant à la conscience de ses partisan·es. Sur quoi certains commentaires l’ont accusé de cultiver l’ambiguïté et le rendent déjà responsable d’une possible catastrophe. Et pourtant, il ne pouvait pas faire autrement.
Car, à la différence de ses anciens concurrents de gauche, Mélenchon sait parfaitement qu’il n’est pas propriétaire de ses voix. (...)
il a réussi à amalgamer le temps de l’élection des groupes sociaux fort différents. Mais ce regroupement est fragile et doit encore être consolidé.
Mieux vaut un vote qui pue qu’un vote qui tue
À la grosse louche, on peut identifier trois segments dans cet électorat, avec des positions intermédiaires. D’abord un électorat politisé, historiquement de gauche et antifasciste, qui s’est notamment retrouvé ce samedi à Paris et dans de nombreuses villes de France pour dire « Non » à l’extrême droite, pour la justice et l’égalité ! à l’initiative d’une myriade d’organisations, sous le mot d’ordre « Mieux vaut un vote qui pue qu’un vote qui tue ». Ensuite, un électorat majoritairement « racisé » des quartiers populaires des grandes villes, comme celui de la Seine-Saint-Denis, un département qui lui a accordé 49% des suffrages. Aucun danger que la moindre voix de ces deux segments n’aille s’égarer dans un vote Le Pen. Beaucoup voteront sans doute Macron, mais pas tous.
Mais les choses se compliquent avec le troisième segment, qui s’identifie peu ou prou à la grande jacquerie du quinquennat : le mouvement des Gilets jaune (...)
Dans sa remontada de la dernière semaine, Mélenchon a su capter une fraction, sans doute minoritaire mais qui a failli être décisive, de la mouvance Gilets jaunes. Une de ses figures de proue, Priscillia Ludosky, d’origine martiniquaise, argumente longuement son soutien à Mélenchon au premier tour. Mais, au deuxième, pas question d’apporter le moindre soutien à Macron. Elle s’abstiendra, ce dont on devra se contenter.
Pour cette part importante de son électorat dans sa composante populaire et de la « France profonde » – celle des campagnes et des petites villes de province – qui lui échappe largement, c’est Macron l’ennemi numéro 1. Le Pen, ça ne peut pas être pire. Si on veut l’amener à voter Macron, malgré la détestation dont il est l’objet, cela ne pourra pas être « gratuitement », au seul nom d’un antifascisme qui ne lui parle pas. D’ailleurs, si Mélenchon avait donné une telle consigne, il n’aurait tout simplement pas été suivi. La possibilité d’un moyen terme vers l’abstention pour éviter le pire – soit le vote Le Pen d’une partie de ses électeurs –, c’était bien joué, l’objectif essentiel étant qu’« il ne faut pas donner une seule voix à madame Le Pen ».
J’imagine que le président sortant doit sentir le vent du boulet. Pour capter ces voix qui risquent de lui manquer, il faudrait à tout le moins qu’il donne quelque chose de consistant en échange. (...)