
« Il n’y a pas eu d’erreur, ni de suivi, ni d’interprétation, dans ce dossier », a asséné Christian Gillet, président du conseil départemental du Maine-et-Loire, à la suite du décès de Vanille, étouffée par sa mère et retrouvée dans un conteneur à vêtements, après qu’une alerte enlèvement avait été déclenchée. La mère de la petite, placée, disposait de droit de visite libre, sans la présence d’une tierce personne.
Si les services sociaux ont été pointés du doigt, comme après chaque drame, la première réaction sur les réseaux sociaux marquait une totale incompréhension de l’expression « enlevée par sa mère ». Un oxymore même, à en croire le nombre de levées de boucliers. « Ce n’est pas un enlèvement, puisque c’est sa mère ! », pouvait-on lire un peu partout. Une méconnaissance générale des procédures de l’aide sociale à l’enfance s’est révélée.
La France donne souvent la sensation d’un manichéisme en matière de protection de l’enfance. Soit l’individu mineur est chez ses parents, soit il est placé sur décision d’un·e magistrat·e –la ou le juge des enfants. « Il faut bien comprendre que le placement est un dernier recours, explique Andrée Georgeault, juge des enfants pendant sept ans et ancienne éducatrice de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). On ne va pas au judiciaire tout de suite. Il y a tout un panel de possibilités avant, c’est un processus. » Ce sont ces possibilités, et les ramifications qui en découlent, qui sont peu connues car denses et complexes. (...)
« En France, on a du mal à assumer que des parents ne peuvent pas répondre aux besoins de leur enfant, constate Marie Derain, ex-défenseure des enfants et secrétaire générale du Conseil national de la protection de l’enfance. Or une société se construit autour des enjeux d’éducation de l’enfant, c’est le principe de la loi de 2016, il faut rechercher le meilleur pour l’intérêt de l’enfant. Et si on arrive trop tard, ce qui est souvent le cas, on est obligé de sortir l’artillerie lourde. »
Le choix des parents
Pourtant, des options existent avant de sortir le fameux attirail judiciaire. À commencer par des mesures administratives, dont il faut, en tant que parent, en accepter la démarche. Dans le jargon touffu des travailleurs et travailleuses sociales, la mesure d’Assistance éducative à domicile, communément nommée AED, ne relève pas de la justice. Elle est administrative, sous forme de contractualisation entre le département et les parents, qui sont partie prenante de cette solution.
Autrement dit, des parents dépassés, épuisés ou perdus, et souhaitant un appui, peuvent faire appel à leur département (en général en passant auparavant par l’assistant·e social·e de secteur). Un travailleur ou une travailleuse sociale sera nommée pour travailler avec la famille. Entretiens, accompagnements pour diverses démarches, mises en lien avec des partenaires... Les juges des enfants n’interviennent pas dans cette mesure.
D’autres solutions existent : un suivi par un Centre médico-psychologique (CMP), l’orthophoniste ou autre spécialiste, la protection maternelle infantile pour les petits (PMI), ou l’intervention de conseillèr·e en économie sociale et familiale (CESF) ou de technicien·ne en intervention sociale et familiale (TISF) au domicile, plusieurs heures par semaine. Autant de personnes et de soutiens capables de débloquer une situation ponctuellement complexe et fragile. Il faut bien sûr faire le choix de se saisir des compétences de ces professionnel·les.
Options judiciaires
Si les mesures administratives sont mises en échec, qu’il n’y a aucune collaboration de la famille et que l’enfant demeure en danger, les étapes judiciaires peuvent se mettre en marche (...)
Perte de temps
Le service d’investigation éducative de l’ADAES 44 a observé qu’en 2018, 40% des situations relevaient de carences éducatives graves, 25% de conflits parentaux avec ou sans violences conjugales et 16% de violences sur enfants. D’où une majorité de préconisations tournées vers des visites au domicile des parents. Un suivi en « milieu ouvert », comme on dit dans le métier. Un maintien au domicile, souvent accompagné d’injonctions : obligations de soin, d’inscription en crèche, de visites à la PMI, d’heures de TISF, etc.
Là encore, l’attente diffère d’un département à un autre. (...)
En AEMO, un éducateur ou une éducatrice spécialisée va visiter la famille environ toutes les trois semaines. En AEIMF, parfois nommé « AEMO renforcé », le travailleur ou la travailleuse sociale est censée passer une fois par semaine minimum. Une régularité qui implique de suivre peu de familles pour les suivre efficacement. Cette réalité est mise à mal par un système qui rogne budgétairement depuis des années sur la protection de l’enfance, déjà engorgée.
« On attend l’extrême limite pour placer un enfant. Alors qu’une décision de placement peut être préventive, pas seulement punitive ! » (...)
En Loire-Atlantique, il faut compter entre quatre et dix mois d’attente entre la décision prise par la ou le juge et la mise en place de la mesure. Pendant ce temps-là, l’enfant est toujours chez lui.
Il arrive qu’un an d’intervention avec un accompagnement étayé suffise à réenclencher une forme de sérénité familiale.
Mais parfois, ce maintien du lien à tout prix est une erreur. (...)
Le travail social s’est technocratisé : plus on prend le temps de vouloir répondre aux outils du législateur, plus on perd du temps sur l’observation et l’analyse. » (...)
En France, un sur-attachement à la filiation
« Ce qui est difficile à comprendre pour tout le monde, c’est la manière dont se prennent les décisions, comment et sur quoi s’appuient les magistrats, indique Marie Derain, aujourd’hui chargée de mission à la direction de la PJJ. Amener du contrôle social dans un espace privé comme la famille n’est pas simple. Alors, oui, il y a des dysfonctionnements dans la protection de l’enfance, mais des milliers d’enfants vont aussi mieux grâce à ce système. » Tou·tes ces professionnel·les ont observé, de plus en plus, des parents porteurs de pathologies graves, parfois non diagnostiquées.
Ce qui nous ramène à l’affaire de Vanille, et d’une maman malade qui disposait de visites libres (sans tiers), avec sa petite fille. « Ce qui m’a frappée ces dernières années, ce sont les problématiques de maladies psychiatriques, confie Marie Derain. On travaille assez mal à accompagner ces parents malades. » Pour l’ancienne défenseure des enfants, il faudrait davantage privilégier la coparentalité ou parentalité partagée, avec l’environnement élargi (tantes, oncles, grands-parents...). Et cesser de croire « aux vertus magiques des visites ou visites médiatisées. C’est un temps qui nous permet d’observer ce qu’il se passe pour l’enfant. Mais on doit aussi savoir dire stop ».
La visite médiatisée (VM), ou visite en présence d’un tiers (VPT)[4] ordonnée par la ou le juge des enfants, se fait en présence d’une tierce personne, un ou une professionnel·le de la protection de l’enfance. Elle peut aller d’une heure à plusieurs heures. Elle sert à maintenir un lien avec le ou les parents lorsque l’enfant est placé. « Des droits de visite parfois destructeurs, note Andrée Georgeault, l’ancienne juge des enfants. Pendant longtemps, on a pensé que les enfants soignaient leurs parents. Mais on ne peut en aucun cas les utiliser pour ça. » (...)
. « Il y a chez nous un véritable déni de la parentalité d’accueil. Or les enfants s’attachent à un milieu substitutif. Ils sont malheureux surtout quand ils sont ballottés. Et nous avons aussi encore du mal à penser qu’une mère puisse faire du mal à son enfant. » Ainsi, dans d’autres pays d’Europe, les assistantes et assistants familiaux sont reçus par le juge des enfants, fin connaisseurs de l’enfant qu’ils élèvent parfois depuis de nombreuses années. Chez nous, un enfant peut passer quinze ans dans la même famille, ce sera toujours la ou le représentant de l’ASE qui ira à l’audience. (...)
Selon Philippe Fabry, « on reste en France dans une culture du placement, pas du “confiage”. Nous sommes des incapables de la pluriparentalité ». Et très en retard sur d’autres pays concernant « la théorie des cercles ». Autrement dit, chercher une solution en premier lieu dans l’entourage de l’enfant. (...)
« En France, les parents d’identité doivent être obligatoirement les parents d’éducation, s’insurge Philippe Fabry. Il y a comme un droit de propriété. Il faut arrêter avec ça ! »
Pour Andrée Georgeault, il faut penser une souplesse aujourd’hui quasi inexistante. (...)