
Les milliardaires qui contrôlent la presse sont les plus subventionnés par l’État. À ce premier scandale s’en ajoute un autre : les mêmes siphonnent la majorité des aides apportées par les géants de la technologie américains. Cette convergence protège la presse sous influence et étouffe la presse indépendante.
C’est une information qui a eu beaucoup de retentissement aux États-Unis mais pas en France, hormis dans la presse spécialisée : Facebook accorde de véritables ponts d’or aux plus grands journaux américains. On s’en doutait, mais comme les chiffres précis n’étaient pas connus, la révélation par The Information, puis le Wall Street Journal, des montants exacts des financements apportés par la plateforme américaine aux plus grands quotidiens du pays a eu un très large écho.
Car ce sont des subsides à couper le souffle dont profitent ces journaux de la part de Meta (la maison-mère de Facebook, Instagram et WhatsApp), qui alimente avec leurs articles les pages de Facebook News : au terme d’accords passés en 2019 pour les trois années suivantes, le Washington Post perçoit un peu plus de 15 millions de dollars par an (14,3 millions d’euros), le New York Times un peu plus de 20 millions de dollars, le Wall Street Journal plus de 10 millions de dollars, et 3 millions de dollars vont à des éditeurs moins connus.
Si ces chiffres retiennent l’attention, c’est qu’ils soulignent l’extrême danger que les grandes plateformes américaines font peser, un peu partout dans le monde, sur les médias : créant de très graves distorsions de concurrence et des abus de position dominante, ce système privé de subventions, qui avantage les plus grands groupes, contrevient gravement à la liberté de la presse, à son pluralisme et à son indépendance. (...)
le verrouillage de la presse, en France, est double.
Il y a d’abord l’État, qui inonde la presse des milliardaires de subventions publiques, selon les modalités que l’on connaît : les plus riches empochent les plus grosses aides publiques. Et à ce premier verrouillage, qui fonctionne depuis longtemps et dont le but est d’assurer la prééminence de cette presse et de freiner l’émergence d’une autre indépendante, s’en ajoute un second, plus récent : les aides privées apportées par les Gafam profitent en priorité, elles aussi, aux médias contrôlés par les richissimes Français.
Les deux systèmes se cumulent donc pour placer la presse française sous un véritable étouffoir, qui menace le droit de savoir des citoyens, rouage majeur de la démocratie.
Six groupes de presse captent plus de la moitié des aides publiques (...)
On comprend, à l’aune de ces chiffres, la situation de grave dépendance dans laquelle se trouvent les plus grands titres de la presse française. On comprend mieux aussi pourquoi le pouvoir ne livre qu’au compte-gouttes, et avec beaucoup de retard, les chiffres qui établissent ce système de presse sous influence…
Soit dit en passant, on observe que le tableau ci-dessus, figurant dans le rapport sénatorial, a été composé sur la base des chiffres fournis par le ministère de la culture et de la communication. Ce qui pose une cascade de questions : pourquoi le gouvernement ne distille-t-il que quelques chiffres sur 2020, et pas la totalité des aides distribuées ? (...)
Le cheval de Troie des droits voisins
Mais le plus grave, c’est que ce système de dépendance dans laquelle la presse est placée s’est considérablement renforcé au cours des dernières années, puisqu’aux aides publiques sont venues s’ajouter les aides privées des Gafam. C’est ce que viennent de rappeler les chiffres du Wall Street Journal sur les financements apportés par Facebook à la presse américaine.
Dans le cas de la France, on est loin de disposer de chiffres aussi précis, car l’opacité est encore plus grande. Et les Gafam, singulièrement Google, ont tout fait en connivence avec les dirigeants de la presse des milliardaires pour brouiller les cartes et rendre illisible la réalité des financements apportés aux journaux concernés. Tous les financements apportés par les grandes plateformes américaines, de Facebook jusqu’à Google, devaient en effet rester secrets.
Pourtant, des fuites multiples ont permis d’avoir une idée assez précise des sommes mobilisées par les plateformes américaines pour placer, elles aussi, la presse française sous influence. Et dans ce cas-là aussi, ce sont les journaux des milliardaires français qui ont bénéficié de la manne la plus importante. (...)