
Lors d’une réunion du comité social et économique, Frank Cadoret, le directeur général du groupe Canal +, a défendu la présence d’Éric Zemmour sur son antenne. D’après nos informations, il est même allé plus loin en affirmant que les propos polémiques de l’éditorialiste sur les mineurs isolés n’étaient « pas racistes » et que le polémiste n’était « pas d’extrême droite ».
Éric Zemmour officie chaque soir sur CNews depuis octobre 2019. Dès lors, il est régulièrement accusé de tenir des propos racistes qui ont déclenché plusieurs enquêtes. Et jusqu’à présent, la direction de CNews et du groupe Canal + assumait l’embauche du polémiste condamné à plusieurs reprises pour incitation à la haine. Elle mettait à chaque fois en avant la liberté d’expression et l’importance du pluralisme.
« Il n’y a aucune ligne politique. Nous sommes une chaîne d’opinion », justifiait le directeur général de CNews Serge Nedjar en juin. (...)
Mais jamais la direction de Canal + ou celle de CNews n’avait défendu les idées portées par Éric Zemmour.
Cette réserve a pourtant volé en éclats le 7 octobre dernier. La direction du groupe Canal +, par l’intermédiaire de son directeur général Frank Cadoret, a livré sa position sur le cas du polémiste, ainsi que l’a récemment évoqué Les Jours. En plus de défendre sa place sur la chaîne d’information, Frank Cadoret a fait l’éloge d’un homme « brillant », qui « n’est pas d’extrême droite » et qui défend seulement la nation.
Mediapart s’est en effet procuré le procès-verbal d’une réunion du comité social et économique (CSE) tenue le 7 octobre dernier par visioconférence. Pendant près de quatre heures, Frank Cadoret va notamment défendre l’embauche d’Éric Zemmour. Mais aussi ses propos, pourtant jugés racistes par de nombreuses associations et qui ont donné lieu à l’ouverture d’une enquête par le parquet de Paris.
Cette séance extraordinaire intervenait quelques jours après une énième polémique autour de propos tenus par le journaliste du Figaro. (...) " Il n’y a pas de juste milieu. Il faut renverser la table. C’est-à-dire que ces jeunes [les mineurs isolés – ndlr], le reste de l’immigration, ne viennent plus", déclare Éric Zemmour. (...)
Immédiatement après, cette sortie suscite de nombreuses condamnations du gouvernement et des associations. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) saisit le parquet de Paris qui ouvre une enquête pour « injures publiques » et « provocation publique à la discrimination, la haine ou la violence ». Même le comité éthique de Canal + réagit en affirmant que l’émission « Face à l’info » ne peut « pas continuer à être diffusée sous sa forme actuelle » et pointe des propos « contraires à la charte déontologique du groupe ». La chaîne avait pris le parti de diffuser cette séquence alors qu’elle aurait pu couper l’extrait de cette émission tournée en différé.
« Il n’est pas d’extrême droite »
Malgré ces condamnations unanimes, l’un des patrons du groupe Canal + n’a donc pas hésité à légitimer le discours de Zemmour devant une vingtaine de représentants de salariés. (...)
Le directeur argumente ensuite pour justifier la sortie de Zemmour sur les mineurs isolés. (...)
Le patron de Canal + va même plus loin. Pour légitimer les théories avancées par Zemmour, il évoque l’attentat devant les anciens locaux de Charlie Hebdo durant lequel deux salariés de l’agence Premières Lignes ont été gravement blessés. Et n’hésite pas non plus à accumuler des erreurs juridiques sur les mineurs isolés (...)
Laurent d’Auria interrompt alors le directeur pour lui préciser qu’il ne « lui demande pas de justifier les propos d’Éric Zemmour » ni de « partager ses opinions personnelles ». « Ce ne sont pas des opinions personnelles », proteste alors Frank Cadoret. Ce dernier affirme ensuite, à tort, que Zemmour n’a pas dit que « tous » les mineurs isolés étaient « des violeurs, des assassins, des tueurs ». (...)
Face à la vive réaction du syndicaliste Laurent d’Auria, le directeur général met alors en avant le succès de l’émission de CNews. (...)
Lorsqu’un autre syndicaliste s’indigne une nouvelle fois de la sortie sur les mineurs isolés, Frank Cadoret insiste en disant à propos de Zemmour avoir seulement « entendu quelqu’un qui défendait l’autorité patriarcale, qui n’est pas dans la Constitution française ».
Lors de cette réunion, Laurent d’Auria précise au directeur qu’il trouve ses propos « extrêmement graves », notamment lorsqu’il oppose le polémiste supposé seul « défenseur de la nation », contre les invités de gauche qui ne le seraient pas. D’après le PV, le directeur tente alors de faire marche arrière en disant avoir commis « un lapsus » (...)
En interne, cet échange a suscité colère et incompréhension. « Cette réunion était vive, on ne s’attendait pas du tout à cette réponse et à une défense de l’idéologie même de Zemmour par la direction du groupe », témoigne auprès de Mediapart un syndicaliste présent à ce comité. « Ce qui est choquant, c’est que tout ce discours de Frank Cadoret est à considérer comme la position officielle de la direction », ajoute-t-il. Après cette réunion tenue le 7 octobre, la direction de Canal + n’a pas voulu amender le PV en précisant par exemple qu’il s’agissait des opinions personnelles du directeur général. Non, elle a validé ce compte rendu dans son intégralité. (...)
En 2019, le CSA avait mis en demeure CNews après des propos tenus par Zemmour sur l’islam et la colonisation de l’Algérie. Si le groupe Canal + avait défendu son éditorialiste star, il s’était contenté de mettre en avant « l’expression du pluralisme des courants de pensée et d’opinion ».