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Comment les labos amassent des fortunes grâce à des médicaments au prix exorbitant
Article mis en ligne le 5 octobre 2017

Second volet de notre enquête sur le prix des médicaments, avec l’exemple du Sovaldi. Cet antiviral agissant contre l’hépatite C, présenté comme révolutionnaire du point de vue de ses effets, est facturé plus de 40 000 euros par patient à l’assurance maladie, pour un coût de fabrication réel estimé entre 75 et 200 euros ! De quoi alimenter les 43 milliards d’euros de profit générés pour son fabricant, le laboratoire Gilead, mais aussi assommer les comptes de la Sécurité sociale, contrainte pendant un temps de faire un tri entre les patients qui pourront, ou non, recevoir le traitement...

C’est l’histoire d’un « casse » presque parfait, celui d’un médicament qui rapporte des milliards. Son nom, le Sovaldi. Sa victime : l’hépatite C, et au passage les caisses d’assurance maladie de plusieurs États ! Cet antiviral à action directe arrive sur le marché français en novembre 2014. Les experts louent rapidement son efficacité contre le virus de l’hépatite C : le sofosbuvir (Sovaldi), du laboratoire Gilead, permettrait de neutraliser le virus dans 93 à 99 % des cas, pour certains génotypes. Les fibroses et les cancers qui découlent du virus seraient ainsi écartés. Tout cela, grâce à une cure de trois mois, à raison d’un comprimé par jour…

Le souci, c’est que ce traitement à un prix... exorbitant. Plus de 67 000 euros aux États-Unis, par patient, pour environ trois mois, lors de son lancement. 41 620 euros en France, à partir de 2015. Soit environ 1000 dollars le comprimé ! Un prix qui compromet le traitement des 160 millions de personnes atteintes du virus dans le monde, et la vie des 700 000 qui en meurent chaque année. D’après l’OMS [1], aucun pays n’a les moyens financiers de payer le prix de ces nouveaux traitements pour soigner toutes les victimes de l’hépatite C.

43,7 milliards d’euros de profit... (...)

« Le prix du médicament d’aujourd’hui ne sert pas à amortir les coûts de sa recherche et de son développement. Il sert à financer le médicament de demain. » Jolie pirouette... Mais tout de même ! (...)

Dans le cas du Sovaldi, d’après la commission des finances du Sénat américain, il a fallu 800 millions de dollars pour développer trois médicaments à base de la même molécule. Bien loin, donc, des 43,7 milliards de profit net accumulés par l’entreprise entre 2014 et 2016, selon les calculs de Médecins du Monde. Grâce à l’acquisition, en 2012, et pour 11 milliards de dollars, de l’entreprise Pharmasset détentrice du brevet, Gilead a fait une opération financière extrêmement juteuse… En 2008, il n’était que le 40ème laboratoire mondial, avec 2 milliards de dollars de chiffre d’affaires. En 2015, Gilead occupait la 6ème place, avec 32 milliards de dollars !

Conflits d’intérêt

Cette belle rentabilité, le laboratoire a réussi à la négocier lors de la fixation des prix du médicament par les autorités publiques. Son principal argument : le caractère innovant du produit et les promesses de guérir des milliers de patients. (...)

« Les nouveaux traitements contre l’hépatite C, qui sont très efficaces, sont inabordables pour de nombreux potentiels bénéficiaires dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE, en raison de leur impact budgétaire élevé », souligne encore l’OCDE en janvier 2017. (...)

D’après le journal Mediapart, plusieurs experts qui ont rédigé un rapport sur le Sovaldi commandé par le ministère de la Santé en 2014 avaient des liens avec le laboratoire. Or, ce rapport a servi à la commission de transparence de la Haute autorité de santé (HAS) pour rendre son avis sur le Sovaldi. Une commission qui influence fortement le CEPS dans la fixation du prix et du remboursement du traitement... (...)

en France, environ 200 000 personnes identifiées comme portant le virus de l’hépatite B, un traitement à plus de 40 000 euros pour chaque patient aurait coûté plus de 8 milliards à l’assurance maladie ! Une situation intenable qui a conduit les autorités à restreindre le traitement aux malades les plus sévèrement atteints (plutôt que de s’attaquer à son prix), et aux populations combinant un risque d’être atteint par le VIH. Ce qui a ébréché le principe d’universalité dans l’accès aux soins, souligne Médecins du Monde. Autrement dit, le prix du traitement implique de faire un tri entre les malades, plutôt que d’en faire bénéficier toutes les personnes atteintes.

L’art de spéculer sur la santé

Le critère de sévérité de la maladie a finalement été levé en juin 2016. Mais il existe toujours des restrictions d’accès au traitement pour certains profils. Les prix de certains médicaments (Viekirax, Zepatiers et Exviera) ont aussi été renégociés en décembre 2016 et en janvier 2017, plafonnant à 28 732 euros les 12 semaines de traitement. Ce qui demeure très élevé. (...)

Le succès commercial et thérapeutique de ces médicaments commence-t-il à se fissurer ? Côté médical, certaines voix alertent sur l’incertitude qui règne autour de l’efficacité de certains traitements à long terme. L’institut Cochrane a évalué toutes les études réalisées pour commercialiser ces antiviraux : « Nos résultats indiquent que les traitements n’ont peut être pas d’effets cliniques », déclare au Guardian un des coordinateurs de l’étude. Le virus disparaitrait du sang des personnes atteintes d’hépatite C, mais il pourrait réapparaitre. Il n’y aurait pas de preuves que ces traitements empêcheraient les conséquences de l’hépatite C et sauveraient des vies... Des conclusions que contestent les laboratoires fabriquant ces antiviraux à action directe.

Une question de volonté politique

Côté commercial, l’Inde et l’Égypte ont, de leur côté, réussi à produire eux-même ce médicament grâce à un accord négocié avec le laboratoire Gilead, pour un prix allant de 200 à 700 dollars le traitement ! Bien loin des prix pratiqués en Europe, qui garantissent de belles marges financières. Mais le brevet du Sovaldi est attaqué au niveau européen et dans d’autres pays du monde, laissant entrevoir la possibilité de produire des médicaments similaires à moindre coût.

Si elle le voulait, la France pourrait de son côté réclamer l’application de la « licence d’office » pour suspendre le brevet (voir toujours notre article sur le marché du médicament). Et envoyer ainsi un signal fort aux autres laboratoires, en vue des prochaines négociations. Serait-ce le seul moyen de réussir à contenir l’explosion du coût de ces médicaments, entraînant immanquablement la mise en difficulté des caisses de l’assurance maladie ?