
Exonérer ici, supprimer des postes là, taxer davantage le plus grand nombre... Les candidats de droite et du centre ne font guère preuve d’inventivité en matière de politique fiscale. Pourtant, des recettes existent pour financer des politiques volontaristes au service de l’intérêt général, sans obliger chacun, en premier lieu les non riches, à « se serrer la ceinture », ni mettre au chômage des dizaines de milliers de fonctionnaires. Entre 130 et 200 milliards d’euros pourraient être facilement récupérés, estime « Rendez l’argent ! », un rapport publié par Attac et un collectif d’organisations et de syndicats. Mais cela signifie s’attaquer vraiment aux délinquants en col blanc.
L’association altermondialiste Attac et le collectif « Nos droits contre leurs privilèges », qui rassemble plusieurs organisations de la société civile et des syndicats de l’administration fiscale, se sont livrés à un petit exercice de chiffrage un peu différent. Leur rapport, rendu public ce 28 mars et intitulé « Rendez l’argent ! », chiffre à 200 milliards d’euros la somme qui peut être récupérée en menant des politiques fiscales plus justes. De quoi, selon ces organisations, financer des centaines de milliers de créations d’emplois utiles à la transition écologique, relancer la recherche publique, favoriser l’accès à l’éducation et à la santé, ou ressusciter l’aide publique au développement.
Renforcer la lutte contre la fraude fiscale : 60 à 80 milliards (...)
Cette fraude prend plusieurs formes : le travail dissimulé, la fraude à la TVA, la sous-estimation de la valeur du patrimoine, le paiement de sommes en liquide non déclarées constituent les principales pratiques frauduleuses quand l’argent en question ne sort pas du pays. À l’échelle internationale, c’est encore plus complexe : l’administration fiscale doit au quotidien identifier les sociétés écrans, comprendre des montages sophistiqués, repérer des manipulations de prix. Qui sont ces fraudeurs ? Les deux tiers de ces délinquants en col blanc sont des entreprises, l’autre tiers sont des particuliers. (...)
Pour récupérer ces milliards « qui échappent à l’impôt », le collectif propose une série de mesures :
obliger les multinationales à rendre des comptes sur leurs activités et filiales dans chaque pays pour sanctionner celles qui pratiquent un « shopping fiscal », en premier lieu les banques françaises et européennes. Un calcul de l’organisation Oxfam révèle que les vingt premières banques européennes réalisent en moyenne un quart de leur bénéfice de 2016 au sein de paradis fiscaux. (...)
Les auteurs de « Rendez l’argent ! » proposent aussi de créer un statut de lanceur d’alerte, avec « aide financière et protection contre les représailles et intimidations ».
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Indispensable à cette lutte contre la fraude fiscale, le renforcement « des effectifs et des moyens des administrations impliquées dans la traque des délinquants financiers ». (...)
« Au nom de la rigueur budgétaire, on a créé ainsi les conditions d’un maintien à haut niveau de la fraude fiscale : un choix économiquement, socialement et budgétairement totalement contre-productif », écrit Solidaires finances publiques. Pour l’instant, seuls deux des principaux candidats abordent le renforcement de la lutte contre l’évasion fiscale dans leur programme : Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon. (...)
Taxer les transactions financières : entre 10 et 36 milliards
Une taxe sur les transactions financières (TTF) existe déjà en France. Adoptée en 2012, elle rapporte un peu moins d’un milliard d’euros par an. S’appliquant principalement aux échanges d’actions des sociétés cotées en bourse, elle a été renforcée fin 2017, avec un taux passant de 0,2 % à 0,3 %. Cette taxe réajustée prend davantage en compte les échanges spéculatifs, quand les achats et les ventes d’actions se déroulent sur une même journée. La mise en œuvre de cette TTF renforcée, prévue en 2018, dépendra de la nouvelle majorité. Un projet de taxe similaire est également en discussion entre dix pays européens, mais les négociations sont sans cesse repoussées.
Les propositions de « Rendez l’argent ! » souhaitent aller plus loin, en promouvant une taxe de 0,1 % sur toutes les transactions financières, et de 0,01 % sur certains produits dérivés, qui servent à spéculer sur la valeur d’une matière première ou d’un bien immobilier. (...)
« On peut tout d’abord prélever la taxe sur le lieu de négociation, c’est-à-dire dans les salles de marché des banques. On peut aussi décider de la prélever dans les chambres de compensation et les centrales de règlement-livraison nationales et internationales (comme Clearstream ou Euroclear, ndlr) qu’utilisent les banques pour effectuer les règlements d’espèces et les livraisons de titres. » (...)
Réformer les niches fiscales : 10 à 15 milliards
La France compte... 451 niches fiscales ! Elles constituent un manque à gagner total de 89,9 milliards d’euros pour les finances publiques. Certaines d’entre-elles coûtent très cher (...)
Conditionner les exonérations du CICE : 40 milliards pour l’emploi
Pour compléter ces recettes, les associations altermondialistes suggèrent d’octroyer sous conditions une nouvelle forme de crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Celui-ci coûte actuellement 40 milliards d’euros par an et n’a contribué à créer ou sauvegarder – au mieux – que 100 000 emplois. (...)
Supprimer les aides aux énergies fossiles : 10 milliards
Là encore, il s’agit de s’attaquer à un étrange paradoxe fiscal : alors que la lutte contre les dérèglements climatiques et la mise en œuvre d’une transition écologique semblent faire consensus, les énergies fossiles, issues du pétrole et les plus polluantes, demeurent allègrement subventionnées. (...)
Ces subventions à la consommation d’hydrocarbures coûtent 3,4 milliards d’euros par an. Attac y ajoute l’abattement fiscal sur le prix du diesel à la pompe, soit 5 à 6 milliards supplémentaires. Un avantage fiscal que Ségolène Royal a décidé d’étendre progressivement à l’essence. « Rendez l’argent ! » souhaite au contraire leur suppression progressive. Une question demeure : comment remplacer ces aides indirectes à des professions sinistrées ou en difficulté, comme les agriculteurs et les taxis, ou à des populations défavorisées, telles celles d’Outre-Mer.
Au total, ce sont donc entre 130 et 200 milliards de recettes fiscales qui sont potentiellement récupérables, au service d’une fiscalité plus juste et d’une meilleure répartition des richesses, sans alourdir les impôts et taxes acquittés par les classes populaires et moyennes, ni mettre au chômage des dizaines de milliers de fonctionnaires. Reste à observer quels seront les candidats les plus favorables à cette justice fiscale. Nul besoin d’être devin pour cela.