Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Vivre ensemble
Comment s’explique la surreprésentation des étrangers dans la criminalité ?
Par André Kuhn, professeur de criminologie et de droit pénal aux Universités de lausanne, de Neuchâtel et de Genève
Article mis en ligne le 21 décembre 2013

La présente réflexion tente de montrer de manière simple combien l’usage de statistiques bivariées peut être trompeur, allant jusqu’à faire croire que la couleur d’un passeport pourrait avoir une influence sur la criminalité, alors qu’il n’en est rien.

Le lecteur de la présente contribution sait probablement que les adultes de plus de 175 centimètres commettent davantage d’infractions pénales que ceux de moins de 175 centimètres… Il s’agit là d’une évidence criminologique et la raison en est très simple : la population adulte de plus de 175 centimètres est principalement formée d’hommes, alors que les femmes sont largement surreprésentées parmi les adultes de moins de 175 centimètres. Sachant par ailleurs que les hommes sont davantage impliqués dans le phénomène criminel que les femmes, il est logique que les adultes les plus grands commettent la plus grande partie des infractions pénales. Néanmoins, chacun comprendra aisément que cette surreprésentation des grands dans la statistique criminelle n’a évidemment rien à voir avec la taille des personnes, mais bien avec leur sexe. Personne ne prônera donc une action sur l’hormone de croissance ou le coupage de jambes comme politique de prévention de la criminalité…

Mais si ce raisonnement est tellement évident, alors pourquoi bon nombre de personnes ne sont-elles pas en mesure de le reproduire en matière d’implication des étrangers dans la criminalité ? (...)

le phénomène criminel est lié de manière bivariée à plusieurs facteurs. Mais cela ne nous avance pas beaucoup, puisque le crime proviendrait des grands, des étrangers, des jeunes, des hommes, des pauvres et/ou des plus modestement formés. A partir de là, chacun tirera ses conclusions, non pas sur la base de connaissances scientifiques, mais bien en fonction de sa tendance politique. En d’autres termes, ces corrélations bivariées ne nous disent pas grand chose – pour ne pas dire rien du tout – sur le phénomène criminel. Nous tenterons dès lors d’affiner l’analyse afin de rendre notre propos un peu plus scientifique. (...)

En agissant de la sorte, on observe que la variable numéro un dans l’explication de la criminalité est le sexe. Le fait d’être un homme plutôt qu’une femme est donc l’élément le plus prédicteur de la commission d’une infraction[4]. En deuxième position on trouve l’âge ; ainsi, le fait d’être un jeune homme est plus criminogène que le fait d’appartenir à toute autre catégorie. En troisième position vient ensuite le niveau socio-économique et finalement le niveau de formation.

En d’autres termes, le profil type du criminel est celui d’un homme, jeune, socio-économiquement défavorisé et de niveau de formation plutôt bas.

Et alors la nationalité dans tout cela ? Eh bien la nationalité n’explique généralement aucune partie supplémentaire de la variance de la criminalité. En effet, la population migrante étant composée de manière surreprésentée de jeunes hommes défavorisés, la variable « nationalité » est comprise dans les autres et n’explique aucune part supplémentaire de la criminalité par rapport aux autres variables prises en considération ; ceci de manière identique à la taille qui est comprise dans le sexe dans l’exemple mentionné en introduction, les hommes étant – en moyenne – plus grands que les femmes.

Ce qui vient d’être exposé permet par ailleurs de comprendre pourquoi le constat que les étrangers commettent davantage de crimes que les nationaux est un phénomène universel. En effet, la migration, de manière générale, est principalement une affaire de jeunes plutôt que de vieux et d’hommes plutôt que de femmes. Sachant que les jeunes hommes représentent justement la partie de la population la plus criminogène, il est donc logique que la population migrante soit plus criminogène que ceux qui ne bougent pas de leur lieu de naissance.

Il est dès lors totalement erroné de comparer les étrangers aux nationaux, puisque l’on compare alors une population faite essentiellement de jeunes hommes à une population de nationaux vieillissants et composés des deux sexes à proportions à peu près égales. C’est ainsi que si l’on compare le taux de criminalité des étrangers à celui des nationaux du même sexe, de la même classe d’âge, de la même catégorie socio-économique et du même niveau de formation, la différence entre les nationaux et les étrangers disparaît. (...)

Il arrive néanmoins que la nationalité explique tout de même une petite partie de la criminalité ; ceci dans le cas très particulier de migrants provenant d’un pays en guerre. En effet, l’exemple violent fourni par un Etat en guerre a tendance à désinhiber les citoyens qui deviennent alors, eux aussi, plus violents et exportent ensuite cette caractéristique dans le pays d’accueil. Ce phénomène est connu en criminologie sous le nom de « brutalisation ». Ainsi, il semblerait que, lorsque l’immigration provient d’un pays en guerre, les quatre premières variables (sexe, âge, statut socio-économique et niveau de formation) ne suffisent pas à expliquer toute la criminalité ; la nationalité entre alors aussi dans le modèle explicatif, en cinquième position. Au contraire, lorsque l’immigration provient de pays non en guerre, la nationalité n’explique rien de plus que ce qui est déjà expliqué par les quatre premières variables.

Mentionnons encore que le phénomène de « brutalisation » que nous avons évoqué ci-dessus explique également pourquoi les Etats qui ont réintroduit la peine de mort aux Etats-Unis ont connu ensuite une augmentation de leur criminalité violente[5] (...)

Comme pour les adultes de plus de 175 centimètres, il est très simple de démontrer que les étrangers sont surreprésentés dans le phénomène criminel. Ces derniers représentent en effet un peu plus de 20% de la population de Suisse, mais quelque 50% des condamnés par les tribunaux suisses[1]. Mais, de la même manière que pour les adultes de plus de 175 centimètres, il est aussi relativement simple de démontrer que ce sont d’autres éléments que la nationalité qui influencent la criminalité. (...)