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IRIN
Comment sauver le Mali ? La solution pourrait venir d’un dialogue plutôt que d’un renfort de troupes
Article mis en ligne le 4 juin 2017
dernière modification le 1er juin 2017

(...) un ensemble de conflits imbriqués et d’alliances changeantes que le gouvernement malien a des difficultés à réprimer, même avec le généreux soutien militaire de l’Occident.

En 2012, M. Koufa a combattu au sein d’Ansar Dine et de groupes djihadistes alliés dans le nord du Mali ; ses hommes et lui se sont rapidement emparés des principales villes de la région. Ensuite, ils se sont dirigés vers le sud. Leur avancée, qui menaçait Bamako, a entraîné le déclenchement d’une intervention menée par la France et l’Union africaine (UA) et s’est soldée par la dispersion de ses troupes.

En 2015, M. Koufa a refait son apparition en tant que chef du tout nouveau Front de libération du Macina (FLM), un mouvement dont l’objectif est le rétablissement de l’empire du Macina du 19e siècle, un État islamique dirigé par les Peuls et établi dans les régions actuelles de Mopti et de Ségou, dans le centre du Mali. (...)

Les recrutements au sein du FLM ont exacerbé et exploité les tensions entre les communautés, et notamment celles qui opposent les éleveurs peuls et les agriculteurs bambaras au sujet des terres et de l’accès aux pâturages. Les Bambaras se sont tournés vers la milice d’autodéfense dozo, soutenue par le gouvernement, et on assiste désormais à un cycle ininterrompu de meurtres de représailles entre civils et à des exécutions plus officielles de représentants du gouvernement par le FLM.

Le Nord a laissé sa place de région la plus dangereuse du pays au Centre.

« C’est un mélange toxique de violences intercommunautaires, d’activités djihadistes et d’abus de pouvoir commis par les forces gouvernementales qui alimente ce cercle vicieux », a dit Héni Nsaibia, un analyste de Menastream, une société de conseil en risques qui intervient au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et au Sahel.

Mais les violences ne sont pas que religieuses. Un rapport rendu public par Human Rights Watch (HRW) en début d’année a présenté les témoignages de membres des deux communautés, et notamment celui d’un responsable de la jeunesse peule qui a noté : « Nous, les Peuls, avons été les premières victimes des djihadistes [… ] nous avons aussi perdu des imams, des maires et des chefs à cause des djihadistes, mais personne n’en parle ».

Les deux camps ont condamné le gouvernement pour son incapacité à traduire les auteurs des meurtres en justice et à faire en sorte que ses forces de sécurité répondent de leurs actes. (...)

Quand le gouvernement passe à l’action, il n’y va pas de main morte. HRW a recensé un certain nombre d’arrestations arbitraires par les forces de sécurité, particulièrement dans les environs de Douentza (...)

Les violences ont favorisé les recrutements au sein du FLM. Le groupe a adopté la stratégie d’AQMI : il a tiré profit de la faiblesse de l’État, il s’est infiltré au sein des communautés locales, il a écouté leurs problèmes et il a adapté son message. (...)

« Dans bon nombre de villages, il semble que les djihadistes aient pris la place des acteurs étatiques chargés de lutter contre le banditisme et contre la délinquance ordinaire, de résoudre les querelles conjugales ou familiales et de favoriser la réconciliation communautaire », a dit Corinne Dufka, directrice de la division Afrique de l’Ouest de HRW. « Les prêches qu’ils prononcent lors des réunions communautaires contre la corruption, la négligence de l’État, et les anciens de la communauté parfois violents, semblent trouver un écho favorable ».

Le gouvernement n’est pas très présent au-delà de la ville de Ségou, située à trois heures de Bamako. Même sans prendre en compte les problèmes posés par l’insurrection, les gouvernements successifs, basés dans le sud du pays, n’ont pas été en mesure d’asseoir leur autorité dans le nord, où la population est relativement peu nombreuse et où les conditions de vie sont extrêmement difficiles. (...)

Les Touaregs, une communauté traditionnellement nomade, vivent dans le désert du Sahara. Ils sont le principal groupe ethnique du nord-est du Mali. Farouchement indépendants, ils ont toujours joué un rôle important de diffusion de l’islam dans le Sahel.

De la migration aux drogues, en passant par les cigarettes de contrebande, les réseaux commerciaux informels dont l’économie de la région dépend sont chapeautés par les militants touaregs. (...)

Le nord du Mali est l’un des bastions des djihadistes depuis 2003 et l’arrivée du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui a traversé la frontière pour échapper aux mesures répressives prises par le gouvernement algérien. L’accord tacite passé avec l’armée malienne et les dirigeants de l’État, qui leur donnait une grande indépendance, était un élément clé de la survie des militants.

En 2012, ils ont fait cause commune avec le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), un groupe touareg. La rébellion a repris une ancienne revendication de séparatisme visant la sécession de cette région négligée du Nord. Mais peu de temps après la proclamation de l’indépendance de l’« Azawad », le MNLA a subi les attaques d’Ansar Dine et d’une coalition de combattants djihadistes déterminés à imposer leur interprétation radicale de la charia dans le Nord.

L’armée française a repris le contrôle de la région pour le gouvernement. L’Opération Serval, une mission aérienne et terrestre, a été lancée à la demande de Bamako, alors que les djihadistes avançaient vers le sud. La France poursuit son action au Mali dans le cadre de l’Opération Barkhane, la mission de lutte contre le terrorisme dans la région. Soulignant cet investissement, Emmanuel Macron, le nouveau président de la France, s’est rendu au Mali au début du mois pour sa première visite officielle à l’étranger.

L’Occident s’inquiète de la menace transnationale que représente le djihadisme. Certains groupes maliens ont des liens avec Boko Haram au Nigéria, et AQMI a lancé des attaques contre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire l’année dernière. Le Sénégal voisin craint d’être le prochain pays sur la liste.

Dans ce contexte, qualifié par l’International Crisis Group (ICG) d’« embouteillage sécuritaire », de nouvelles interventions militaires extérieures sont envisagées, avec le déploiement des forces du G-5 (Burkina Faso, Tchad, Mali, Mauritanie et Niger) et/ou du G-3 (Burkina Faso, Niger et Mali).

Mais la force militaire seule ne permettra pas de réconcilier le Mali. Le Nord est aujourd’hui divisé, avec l’apparition de mouvements concurrents – certains définis en termes strictement ethniques, d’autres soutenant les djihadistes. Le gouvernement a renoué avec des pratiques anciennes, telles que le versement de pots-de-vin, et a fait appel à des mandataires locaux pour régler le conflit. Mais ce qui fait principalement défaut, c’est une meilleure gouvernance. (...)

Les djihadistes n’ont eu aucune difficulté à présenter la MINUSMA et l’intervention européenne comme des forces néocoloniales, venues au secours d’un régime corrompu, alors qu’ils pillent les matières premières du pays. Mais si les intérêts stratégiques occidentaux vont clairement au-delà de la lutte contre l’extrémisme, c’est en cherchant à surveiller les routes migratoires qui mènent de l’Afrique subsaharienne à la Méditerranée. (...)

Du nord au sud, les institutions étatiques maliennes sont totalement brisées ou peinent à fonctionner. Au début de l’année et pendant plusieurs mois, les écoles et les hôpitaux publics ont fermé leurs portes à cause d’une grève des enseignants et du personnel de santé. « Il est difficile de dire ce qui fonctionne vraiment au Mali aujourd’hui », a écrit Abdelkader Abderrahmane, consultant international spécialiste de la paix et des questions de sécurité en Afrique, dans un courriel adressé à IRIN.
Kamissa Camara, chercheuse basée à Washington et spécialiste de la région africaine du Sahel, a dit douter que des enfants maliens, à l’exception de ceux qui vivent près de Bamako, aient fait une année scolaire complète depuis 2012. « Le récit de la menace [djihadiste] a entravé l’évaluation correcte des performances du gouvernement malien, et sa capacité à fournir des services publics de base et à créer des emplois », a écrit Mme Camara dans un article publié par l’Africa Research Institute.

M. Abderrahmane et Mme Camara pensent que la corruption a érodé le soutien de la population aux gouvernements successifs, et qu’elle a accru la résilience aux conflits imbriqués qui secouent le Mali. (...)

L’Accord d’Alger, qui offre un cadre fragile au processus de paix, a été signé il y a deux ans, mais sa mise en œuvre est lente.

Les deux principaux signataires sont une coalition de rebelles touaregs, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), et des groupes armés rivaux ouvertement progouvernementaux et rassemblés au sein de ce qu’ils appellent la Plateforme.

Les djihadistes n’ont pas été inclus dans l’accord et ont tenté de le faire capoter. (...)