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Regards
Comment soutenir l’Ukraine ?
#guerreenukraine
Article mis en ligne le 3 mars 2023

Soutenir les Ukrainiens face à la brutalité poutinienne implique de penser la complexité du monde, telle qu’elle se présente à nous en 2023. Roger Martelli, historien et directeur de la publication de Regards, pose les bases de « la mission même de la gauche ».Soutenir les Ukrainiens face à la brutalité poutinienne implique de penser la complexité du monde, telle qu’elle se présente à nous en 2023. Roger Martelli, historien et directeur de la publication de Regards, pose les bases de « la mission même de la gauche ».

Voilà un an que s’est enclenchée l’agression brutale de la Russie contre l’Ukraine. À la différence d’autres conflits, anciens ou récents, elle a suscité peu de débats dans l’espace politique. La gauche, en tout cas, s’est longtemps tenue dans un silence que l’âpreté des controverses sur les retraites ne suffisait pas à justifier. Ce silence est en train de se dissiper. Clémentine Autain a proposé dans Le Journal du dimanche une tribune substantielle et mesurée. Bertrand Badie s’est exprimé dans la même veine sur le site de Regards. (...)

Enfin, plusieurs personnalités de gauche viennent de signer une tribune dans Le Monde [1]. L’Ukraine, nous disent-ils, « est aujourd’hui le cœur battant de l’Europe. Elle défend la démocratie, non seulement pour elle-même, mais pour nous tous ». Ils concluent donc leur plaidoyer par un appel pressant, invoquant abondamment les souvenirs de l’histoire du XXème siècle : « Nous n’avons pas droit à la lâcheté alors qu’ils combattent pour nous. La seule défense de la paix est de soutenir les Ukrainiens ».

Beaucoup de leurs propos seront tenus ici pour une base solide de consensus. (...)

1. La responsabilité du conflit actuel est tout entière du côté du Kremlin. (...)

2. La base de tout règlement du conflit est le respect intransigeant de la souveraineté de l’Ukraine à l’intérieur des territoires que lui garantissent les traités internationaux. (...)

3. Puisque la définition de l’agresseur et de l’agressé ne souffre d’aucune contestation sérieuse, l’aide militaire à l’Ukraine est une obligation (...)

En bref, l’Ukraine seule ne peut faire face et la Russie ne doit pas sortir victorieuse de la guerre qu’elle a voulue. Tel est l’essentiel dont on peut convenir à la lecture de la tribune.

Soutenir l’Ukraine n’est pas choisir un camp : c’est participer à une lutte pour que s’impose le respect de la souveraineté d’un peuple, du droit international, de la dignité et de l’intégrité des individus. C’est déjà beaucoup.

Mais ces accords substantiels n’annulent pas un sentiment de manque voire de malaise devant la trame globale de l’argumentation.

1. Toute référence à l’histoire est à la fois une nécessité et un piège. (...)

2. La base de tout règlement du conflit est le respect intransigeant de la souveraineté de l’Ukraine à l’intérieur des territoires que lui garantissent les traités internationaux. (...)

3. Puisque la définition de l’agresseur et de l’agressé ne souffre d’aucune contestation sérieuse, l’aide militaire à l’Ukraine est une obligation (...)

En bref, l’Ukraine seule ne peut faire face et la Russie ne doit pas sortir victorieuse de la guerre qu’elle a voulue. Tel est l’essentiel dont on peut convenir à la lecture de la tribune.

Soutenir l’Ukraine n’est pas choisir un camp : c’est participer à une lutte pour que s’impose le respect de la souveraineté d’un peuple, du droit international, de la dignité et de l’intégrité des individus. C’est déjà beaucoup.

Mais ces accords substantiels n’annulent pas un sentiment de manque voire de malaise devant la trame globale de l’argumentation.

1. Toute référence à l’histoire est à la fois une nécessité et un piège. (...)

Dans un monde instable et dangereux, nous assistons – pour la première fois depuis bien longtemps – à la tentative, venant d’une puissance majeure, d’élargir par la force le territoire qu’elle juge nécessaire à la sauvegarde de ses intérêts nationaux. Voilà qui suffit à mesurer l’extrême gravité du problème, mais qui devrait nous détourner de la facilité consistant à chercher dans le passé les instruments d’analyse et les pistes de solution. Nous ne sommes irrémédiablement plus dans les années trente ou dans les années cinquante du siècle dernier.

2. Plus que dans le passé, le monde où se déploie le conflit est un monde dans lequel la vie des êtres humains ne relève plus ni de la seule souveraineté des territoires particuliers, ni de l’hégémonie de quelques-uns, même si les tentations impériales n’ont pas disparu, loin de là. Notre monde est celui de la complexité et des interdépendances. Moins que jamais, nous ne devrions considérer que la résolution des situations de crise relève des seuls protagonistes d’un conflit. (...)

Même s’il faut assumer les guerres quand cela s’avère nécessaire, mieux vaut ne pas oublier que ce n’est pas « l’ennemi » qu’il convient d’éradiquer, mais le substrat matériel et symbolique des guerres elles-mêmes. N’est-ce pas là la mission même de la gauche ?

3. On peut donc, d’un côté, aider militairement l’Ukraine et durcir plus encore les sanctions économiques contre le bloc des décideurs moscovites et, d’un autre côté, agir opiniâtrement auprès de ceux qui, pour ne pas condamner ouvertement la Russie, ne sont pas pour autant des alliés de Poutine.

Mais pour cela, il ne faut surtout pas s’enfermer dans des globalisations qui rassurent les plus fervents des partisans et radicalisent les adversaires. (...)

Nous ne devons plus nous enfermer dans ces combats censés être ceux de la lutte éternelle du bien contre le mal, de la civilisation contre la barbarie, du « monde libre » contre celui qui ne l’était pas (Harry Truman) ou du « camp de la paix » contre le « camp de la guerre » (Joseph Staline). Le temps est venu de se débarrasser, partout, du « campisme » et de ses interminables succédanés. Nous ne devons rêver ni d’un monde unipolaire, ni bipolaire, ni même multipolaire (où chaque puissance majeure ou secondaire régenterait son pré carré). Ce dont nous avons besoin c’est de multilatéralisme, de mise en commun, de droit décidé ensemble et assumé à parts égales. Ce dont nous souffrons, c’est de l’ONU rabaissée, cantonnée au rôle d’utilité, l’essentiel revenant aux stratégies des États et de leurs réseaux, des puissances financières et des technocrates, nationaux ou transnationaux. Ce qui nous étouffe, ce sont l’accumulation prédatrice, la spéculation effrénée, l’argent distrait du développement sobre des capacités humaines, englouti dans des dépenses militaires à nouveau croissantes (...)

4. Il faut aider l’Ukraine. Mais ce serait l’honneur de la gauche que de porter cette exigence dans un environnement global qui lui donne un autre sens que celui de la revanche et de la punition. Le traité de Versailles, après 1918, a entériné la fin de la guerre, mais a-t-il permis la paix ? Et où a-t-on vu, depuis 1945, qu’un conflit majeur s’est résolu par l’usage massif de la force ? Non pas que celle-ci ne serve à rien, mais la preuve a été suffisamment faite qu’elle peut aboutir à son contraire si elle n’est pas corsetée par un projet d’apaisement, de retour à la concorde et au bien commun. (...)