
La CNCDH ne peut en cette date du 19 juin 2018, dans le cadre de cet avis relatif aux migrants et demandeurs d’asile venus d’Italie, ignorer ni la situation tragique des 629 migrants recueillis en mer par l’Aquarius, ni le refus opposé par les autorités italiennes à l’accostage de ce bateau dans un port italien, ni le silence des autorités françaises, ni l’accueil finalement offert par les seules autorités espagnoles. Profondément indignée par l’impuissance de l’Union européenne face aux drames qui se déroulent quotidiennement sur les côtes méditerranéennes, elle attend du gouvernement français qu’il prenne les mesures qui s’imposent, au vu des obligations internationales souscrites par la France, afin d’assurer en toute circonstance le sauvetage en mer des migrants. Face à la réponse sécuritaire apportée par l’Union européenne, la CNCDH attend que soit sérieusement pris en compte l’enjeu mondial que constituent les migrations afin que les valeurs fondatrices de l’Europe, à commencer par la dignité inscrite au chapitre premier de la Charte
1. La CNCDH a été alertée par plusieurs de ses membres de la situation extrêmement préoccupante des personnes migrantes à la frontière italienne (1). Saisie par le ministre de l’Intérieur d’un avis sur le projet de loi " pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif ", elle a décidé, afin de nourrir cet avis par une mission d’observation, de se rendre à la frontière franco-italienne, pour réaliser un constat objectif et impartial et comprendre la réalité du terrain comme elle l’avait déjà fait à Calais et Grande-Synthe (2). La CNCDH a ainsi effectué deux missions, l’une dans les Hautes-Alpes, notamment au col de Montgenèvre, à Briançon et à Gap les 19 et 20 mars 2018 et l’autre dans les Alpes-Maritimes, notamment à Nice, Menton et Vintimille, les 12 et 13 avril 2018.
2. Toutefois, au regard de la gravité de la situation qu’elle a pu constater au cours de ses missions, la CNCDH a décidé de rendre un avis distinct de celui portant sur la loi asile et immigration (3). Lors de ses deux déplacements, la CNCDH a été profondément choquée par les violations des droits des personnes migrantes constatées et par les pratiques alarmantes observées sur ces deux zones frontalières où la République bafoue les droits fondamentaux, renonce au principe d’humanité et se rend même complice de parcours mortels (4). Malgré des différences selon les lieux, la CNCDH ne peut éviter de dresser un constat sèvère sur une volonté politique de bloquer les frontières au détriment du respect du droit à la vie et à l’intégrité physique des personnes migrantes, contraintes d’entreprendre des parcours de plus en plus dangereux à travers les Alpes, comme en témoignent de multiples récits douloureux et attentatoires à la dignité.
3. Les personnes interceptées à la frontière italienne sont originaires essentiellement d’Erythrée, d’Afghanistan, du Soudan ou encore d’Afrique de l’Ouest (5). On trouve également parmi elles de très nombreux mineurs, isolés pour une grande partie d’entre eux. Certains souhaitent s’installer en France tandis que d’autres poursuivent leur chemin vers d’autres pays, comme la Grande-Bretagne ou l’Allemagne. Ces parcours d’exil périlleux sont une conséquence des politiques européennes (6). S’agissant de l’Italie, l’Europe lui a laissé, depuis 2015, la charge de l’accueil d’un nombre croissant de personnes arrivant par la Méditerranée après la fermeture de la route des Balkans. Or ce pays ne peut et ne veut plus désormais assumer ce rôle sans soutien. C’est d’ailleurs l’une des causes de la victoire des partis nationalistes et populistes aux dernières élections italiennes. Le repli voire l’hostilité d’une partie de la population et les mauvaises conditions d’accueil en Italie sont autant de raisons qui poussent de plus en plus de personnes migrantes à tenter de chercher une protection et le droit de vivre dans d’autres pays européens.
4. La France, qui n’est en rien " submergée " (7), doit néanmoins faire face à une situation inédite à sa frontière avec l’Italie. La politique conduite à la frontière avec l’Italie et les pratiques indignes constatées tant dans la partie sud de la frontière Menton-Vintimille que dans le Briançonnais sont à l’origine des alertes et des recommandations que la CNCDH formule dans cet avis.
5. La CNCDH se penchera successivement sur les nombreuses violations des droits fondamentaux lors du passage de la frontière (I), sur l’accès à une protection internationale au titre de l’asile (II), et sur le non-accueil comme politique assumée par les autorités (III). Elle soulignera également le traitement, par les autorités, des aidants, poursuivis pour délit de solidarité, alors que leurs actions n’ont d’autre objet que de pallier les carences de l’Etat (IV). Enfin, elle entend attirer l’attention des autorités sur la situation particulièrement préoccupante des mineurs non accompagnés (V) ainsi que des victimes de traite des êtres humains (VI). (...)
Recommandation n° 1 : La CNCDH exige le plus strict respect des dispositions prévues par la loi. Elle alerte sur les interprétations volontairement restrictives, voire erronées, qui en sont faites, au détriment des droits des personnes migrantes. Elle demande en particulier la conduite d’un entretien individuel, la notification des droits dans une langue comprise par l’intéressé, l’examen approfondi de sa situation ainsi que le respect du droit au jour franc. La CNCDH confirme son désaccord avec toute disposition nouvelle qui, à l’occasion de l’adoption de la loi " Pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif ", aggraverait la situation juridique des personnes migrantes lors de leur présentation à la frontière. (...)