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Confinement : la révolution de l’égalité dans les foyers n’aura pas lieu
Article mis en ligne le 1er avril 2020
dernière modification le 31 mars 2020

Pour Élise, le confinement a des airs de revanche sur la nonchalance habituelle de son compagnon. Jusqu’ici, alors que la freelance travaille depuis leur 40m2 du XIe arrondissement de Paris, sans lave-vaisselle, lui avait l’habitude d’esquiver ses devoirs domestiques en s’échappant au bureau. Désormais, Élise s’amuse à étaler la vaisselle sale sur le plan de cuisine pour qu’il éprouve cette réalité autrefois si abstraite : le repas ne pourra se faire sans avoir nettoyé les dépouilles du précédent. « Il fait plus la vaisselle qu’avant, il n’a plus le choix », triomphe-t-elle.

Dans cet épisode grave, un espoir fou est né : celui d’une révolution égalitaire au sein des foyers. Au moment de ranger la vaisselle, surveiller les devoirs des enfants, faire la poussière, la liste des courses et les repas, qui fera quoi ?

À la tête de l’Observatoire de la qualité de vie au travail, qui traite des problématiques de parentalité en entreprise, Jérôme Ballarin veut croire qu’il y aura un avant et un après (...)

Les problèmes préexistants s’aggravent

Il semblerait absurde que les femmes continuent de passer deux fois plus de temps à s’occuper des enfants et du ménage et des courses, avec leur compagnon à quelques mètres. Et pourtant. En réalité, la suppression de l’éloignement ne suffit pas à bousculer l’édifice des inégalités au sein des couples. (...)

« Certains hommes vont se poser des questions... Mais cela ne déclenchera pas pour autant des mécanismes de rééquilibrage, explique Marie Becker, directrice conseil au cabinet Accordia, experte du sexisme et des inégalités professionnelles. Quelqu’un qui n’a jamais fait la cuisine la fera peut-être un peu, mais pas à 50/50. »

Dans ce contexte de crispation et d’anxiété, pour les familles nombreuses, celles mal équipées, celles qui n’ont ni jardin ni employeurs flexibles, mais des enfants dépendants, des conjoints paresseux et le nez dans le guidon, le confinement, loin de rebattre les cartes des inégalités, va les révéler, les conforter voire les empirer. Les mécanismes déjà en place ne risquent pas de se révolutionner mais se solidifier. (...)

En ce qui concerne la répartition des tâches, dans la grande majorité des foyers, les mêmes habitudes reprendront de plus belle, puisqu’en temps de crise, on se rattache à ce que l’on connaît et qui marche, à ce que chacun·e sait et doit donc faire. Il faut faire tenir la baraque, dont les femmes supportent en général déjà les fondations. Parce qu’elles détiennent la majorité des savoirs de ce monde-là, leurs charges mentale et domestique seront en surchauffe.

Via son compte Instagram, Coline Charpentier a reçu plus d’une centaine de témoignages depuis une semaine de femmes épuisées de devoir gérer, en plus de leur travail, les enfants, les repas –sains, si possible–, la maison, le bon respect du protocole sanitaire, en plus de la charge émotionnelle qui consiste à écouter et soigner les angoisses de tout le monde, dans le foyer, le voisinage et la famille. (...)

Premières variables d’ajustement, de nombreuses femmes sont ainsi en première ligne pour se débrouiller afin de répondre aux exigences de ceux qui veulent prétendre que tout va bien. « L’Éducation nationale nous demande de continuer le programme comme si de rien n’était, avec des devoirs et contrôles à surveiller, comme si les parents pouvaient suivre sans problème, raconte Coline Charpentier, elle-même professeure. Des entreprises, complètement déconnectées, maintiennent les mêmes charges de travail en sachant qu’il n’y a pas de garde d’enfant. »

Elle et son conjoint doivent tous deux poursuivre leur activité, tout en s’occupant de leur enfant de moins de 3 ans qui ne fait plus sa sieste. (...)

Si les femmes continuent d’en faire plus à la maison, c’est parce qu’un calcul simple et pragmatique a été fait : le salaire de celui qui gagne le plus doit être maintenu au maximum, et dans 75% des couples, c’est celui de l’homme. (...)

Le confinement illustre cette imbrication solide entre inégalités domestiques et professionnelles, laquelle ne peut être brisée qu’à la condition de supprimer les écarts de rémunération entre hommes et femmes. (...)

Certains encouragent les femmes à taper du poing sur la table pour imposer l’égalité à la maison. Pour Marie Becker, c’est une injonction de plus faite à celles qui sont déjà bien surmenées. (...)

Faudra-t-il attendre que les femmes tombent, grillées par un burn out domestique ? Coline Charpentier place plutôt ses espoirs dans ce « jour d’après », que beaucoup rêvent plus juste. « Cette crise a un effet grossissant sur les inégalités, elle pourra engendrer une prise de conscience, plus tard. Ce que nous avons vécu sera là, il faudra en parler. »

En attendant, pour éviter les disputes et arrêter les pleurs des petits habitués à les réclamer, les femmes vont capituler et faire, pour tenir jusqu’à la journée suivante. Elles achètent la paix plus que l’égalité. C’est elle qui leur permet de rester debout, ou même juste en vie.