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Coronavigation en air trouble (3/3) : pour des aujourd’huis qui bruissent
Par Alain Damasio
Article mis en ligne le 3 mai 2020

« Toute crise majeure est une chance. Parce qu’elle brise un continuum. Et qu’elle ouvre une lucarne dans le mur circulaire de nos habitus cimentés à la résignation et au déni. Une lucarne qui peut vite devenir fenêtre, puis portes sur un futur à désincarcérer. » Epilogue des « coronavigations » : la solution est sans miracle, c’est nous et notre politisation active.

III. POUR DES AUJOURD’HUIS QUI BRUISSENT (ÉPILOGUE POUR L’APRÈS)

La promesse d’une fenêtre

Sauf que ça ne repartira pas comme ça. Parce que « on est lààà ! ». Et qu’on veut bien être des lapins apeurés dans les phares du virus, mais qu’il y a une limite ! Et aucune raison que cette pandémie, qui ouvre tellement de possibilités de bouleversements, n’en ouvre pas à ceux qui comme nous veulent changer ce monde. (...)

Cette pandémie n’est donc pas qu’une catastrophe.

C’est déjà beaucoup plus, beaucoup mieux : une promesse. Une promesse pour le printemps qui vient et dont nous pouvons être les bourgeons têtus, les fleurs sans naïveté et les fruits qui mûrissent.

Je ne sais pas si « rien ne sera plus comme avant » après le confinement, comme lancent ces oracles dont les prophéties se voudraient auto-réalisatrices. Mais pourtant quelque chose se fend. Indiscutablement. Une brèche. Tentons d’y passer une main.

D’abord confiner le plasma radioactif du capital

Bruno Latour parle joliment de gestes barrières pour contrer (après le confinement) le capitalisme extractiviste et ses massacres écocides. L’image qui me vient est plus SF : comment, une fois la pandémie passée, parvenir à confiner, à notre tour, ce plasma radioactif du capital-en-nous, qui a fini par nous irradier tous — et qui voudra continuer à le faire ?

Il ne sert à rien de se prétendre contre le capitalisme. Demandez aux gens, tout le monde est contre : toutcontre. Il ne sert à rien de se croire au dehors : la marge appartient encore au système et l’alimente même plus puissamment que son centre. La vérité est plus cruelle : si le capitalisme est si présent, s’il infiltre partout ses liquides, s’il démultiplie de façon fractale ses logiques jusqu’aux secteurs qui avaient su longtemps le repousser (l’éducation, la santé, l’humanitaire, l’amitié, la militance, l’art…), c’est parce qu’il prend en nous son énergie. On l’irrigue avec notre sang ; on l’électrise avec nos nerfs ; on le rend intelligent avec nos cerveaux. Il nous manipule avec nos propres mains.

Barbara Stiegler encore : « le néolibéralisme n’est pas seulement dans les grandes entreprises, sur les places financières et sur les marchés. Il est d’abord en nous, et dans nos minuscules manières de vivre qu’il a progressivement transformées ».

Il faudra un jour cesser de concevoir nos ennemis comme extérieurs à nous.Ce qui importe est de sortir du confinement capitaliste et de nous ménager des dehors où respirer, réinventer et retisser. Territoires où expérimenter. Temps libérés. Collectif où lier & relier.

La bonne nouvelle est que germent déjà de partout (quoiqu’on dise, et étouffe, et fasse croire) d’innombrables initiatives en ce sens.

Il n’y a plus de lendemains qui chantent, et c’est tant mieux. Mais il y a des aujourd’huis qui bruissent. Et c’est mieux. (...)

De quelques attitudes mentales propices

Dans cette pandémie, il y a ce que le virus nous fait. Ce que les gouvernements font de ce virus.

Et il y a ce que nous ferons de ce que nos gouvernements nous font.

Si je devais suggérer une attitude mentale qui me semble féconde pour construire le pendant et l’après, je dirais ça (et merci à cet article si down-to-earth et si pertinent de Pouhiou que j’ai découvert sur le framablog et que je retrempe ici à ma sauce : « Il n’y a pas de solution, il n’y a que nous ») (...)

Comme le dit à sa façon Pouhiou,« c’est pas une solution, hein : c’est une route. On va trébucher, on va se paumer et on va fatiguer. Mais avec un peu de jugeote, on peut cheminer en bonne compagnie, réaliser bien plus et aller un peu plus loin que les ignares qui se prennent pour des puissants. »

Donc première attitude : ne plus croire que le gouvernement le fera pour nous. Yes, he can, quand il le veut vraiment. Oui on peut le contraindre, un peu, mais ça fait 40 ans qu’on jette des palettes sous les chenilles du bulldozer néolibéral sans le ralentir beaucoup, n’est-ce pas ?

Ne rien attendre de lui. Qu’il ferme juste enfin sa grande gueule quand il dit qu’il n’y a pas d’argent magique, ce serait déjà énorme. De l’argent « magique », il y en a. Ça s’appelle prélever des impôts à ceux qui éjaculent du fric. (...)

Ça s’appelle encore une relance keynésienne. Ça s’appelle payer des salariés du service public plutôt que donner des subventions aux sociétés cotées en bourse qui vont les transformer aussitôt en dividendes et enrichir encore plus les déjà-trop-riches.

Et ça s’appelle aussi sortir de la marchandisation de tout. Rien ne les détruit plus que le gratuit ! Et qui l’a mieux exprimé qu’Édouard Glissant, Patrick Chamoiseau et leurs amis en 2009 ? (...)

Ce qu’on mérite ?

Je ne crois pas qu’on puisse « décider » à l’échelle d’une nation, d’une expérience commune aussi cruciale que la crise du coronavirus et ce qu’elle nous fait.

Pourtant, est-ce que notre monde social et vivant ne mériterait pas ça ? Je veux dire : ne mériterait pas, disons, qu’on consacre deux mois de son existence à éprouver enfin ce que serait un monde de prospérité sobre ? Un monde de croissance ? Allez, osons nous réapproprier le mot, oui : de croissance de nos disponibilités, de notre attention aux autres, de croissance de nos bienveillances mutuelles. De croissance de nos lenteurs riches. De poussée du réensauvagement de nos espaces trop urbanisés.

Un monde de technologies douces, réparables et recyclables, intelligemment contenues, de buen viviroù l’on mangerait mieux, local et savoureux, consommerait le strict nécessaire, éliminerait enfin les métiers parasites (pub, marketing, com, finance…) et les jobs de merde (...)

Les virus naissent, passent, disparaissent. Ils n’exigent aucune guerre, juste l’attention juste au juste moment — mais c’est déjà trop pour un capitalisme rivé à ses courses de bites et à ses cours de bourse.

Dans cette crise, de très nombreuses actions locales, initiées par des personnels hospitaliers, des laboratoires vétérinaires, des petits industriels, des militants de toute sorte et de tout métier ont fleuri, avec intelligence, célérité et pertinence. Depuis des semaines, nous avons sous les yeux et à l’échelle d’un pays la preuve quotidienne qu’une organisation verticale centralisée est obsolète dans une société éduquée aux ramifications complexes. Bonne nouvelle pour nous tous — et péril fatal pour la petite caste prédatrice qui voudra maintenir, "à n’importe quel coût" son pouvoir, fut-il seulement celui de nous nuire.

Puisque l’étoffe des nouveaux mondes se trame déjà, tissons-nous à eux ! (...)

Ce qu’on peut décider, raisonnablement, c’est de « covider » localement nos productivismes et de se donner les moyens d’une expérience partagée des disponibilités que la pandémie nous a offert malgré elle. (...)

Ce qui importe est de sortir du confinement capitaliste et de nous ménager des dehors où respirer, réinventer et retisser. Territoires où expérimenter. Temps libérés. Collectif où lier & relier.

La bonne nouvelle est que germent déjà de partout (quoiqu’on dise, et étouffe, et fasse croire) d’innombrables initiatives en ce sens.

Il n’y a plus de lendemains qui chantent, et c’est tant mieux. Mais il y a des aujourd’huis qui bruissent. Et c’est mieux. (...)