
La crise du Covid-19 a révélé les défaillances tricolores dans la production de certains biens stratégiques et a notamment relancé la production de masques sur le territoire. Mais plusieurs secteurs réfléchissent à réinvestir et à se fournir dans l’Hexagone.
La crise du Covid-19 a révélé les défaillances tricolores dans la production de certains biens stratégiques et sa dépendance vis-à-vis de l’Asie. Au-delà de la pénurie de masques, les Français ont aussi découvert que 80% des principes actifs des médicaments étaient fabriqués en Chine et en Inde, que 55% des gants chirurgicaux venaient de Malaisie et que, dans le nord de la France, ancien fleuron du textile, on était incapable de produire des surblouses. Le fruit de plusieurs décennies de délocalisations, un mouvement initié dans les années 1980 et qui s’est accéléré dans les années 2000. (...)
Le "monde d’après" sera-t-il synonyme de relocalisation ? C’est en tout cas l’ambition affichée au sommet de l’Etat. "Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie à d’autres est une folie", a lancé Emmanuel Macron le 12 mars. Dont acte. Bercy a chargé les 16 Comités stratégiques de filière (CSF), créés dans le sillage du Conseil national de l’industrie en 2010, de plancher sur les secteurs relocalisables, que ce soit dans la santé, l’agroalimentaire, l’automobile, l’aéronautique ou encore l’électronique, et d’arriver avec une feuille de route avant l’été.
Une stratégie à l’échelle de l’Europe
Mais l’Etat n’a pas attendu pour présenter son plan pour la filière automobile, frappée de plein fouet par la crise. Et la tendance est clairement à la relocalisation. Moyennant une aide de 5 milliards d’euros, Renault doit stopper ses extensions à l’étranger (Maroc, Roumanie ou Corée) et développer la voiture électrique en France et, plus largement, en Europe. Le constructeur au losange a dû accepter d’entrer au capital de l’alliance franco-allemande des batteries, aux côtés de son rival PSA, pour créer un "Airbus des batteries" européen. Car peut-on encore parler de relocalisation à l’échelle française exclusivement ?
Pour certains secteurs en tension comme le médicament, la souveraineté ne peut se jouer qu’au niveau du Vieux Continent. "On raisonne par rapport à la plaque européenne", confirme à franceinfo le laboratoire Sanofi, dont le projet de créer une entité indépendante regroupant six usines, initié avant la pandémie, tombe à point nommé. Ces sites de production, basés en France, en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni, proposeront un catalogue de 200 principes actifs, comme des antibiotiques ou des corticoïdes. Cette nouvelle structure, dans laquelle Sanofi sera actionnaire à hauteur de 30%, pourrait aussi fabriquer des molécules essentielles lors de la pandémie, comme les anesthésiants et les curares. (...)
Pour rompre avec "le monde d’hier", l’idée est cette fois-ci de "se fédérer pour avoir un outil territorial collectif. On n’est pas juste dans une réponse à la crise mais dans une sécurisation souveraine, dans la durée, d’une production de masques", explique l’ancien conseiller régional Europe Ecologie. Reste à trouver des débouchés. "C’est déjà déclinant au niveau des ventes car la grande distribution et certaines grandes métropoles préfèrent acheter des masques jetables en Asie", déplore le PDG d’Aertec, qui a écrit un courrier à Bercy à ce sujet. Une réunion doit justement se tenir au ministère de l’Economie, lundi 8 juin, pour pérenniser cette filière du masque textile en France.
A la recherche de fournisseurs locaux
Si l’urgence sanitaire a incité certains patrons à relancer une production made in France, d’autres pénuries, plus discrètes, ont été tout aussi pénalisantes pour les entreprises et certains secteurs d’activité. Comme dans l’électronique. (...)
selon Vincent Bedouin, PDG de Lacroix Group et vice-président du Comité stratégique de la filière électronique, la moitié des 26 milliards d’euros importés dans le secteur pourrait être éligible à une relocalisation.
Le secteur du bâtiment a également eu à souffrir de la paralysie des circuits logistiques. (...)
Peu d’emplois à la clé à court terme
Si le gouvernement envisage de baisser ces impôts de production, "les collectivités locales freinent des quatre fers", observe le député LREM Guillaume Kasbarian, auteur d’un rapport "pour simplifier et accélérer les installations industrielles", remis en septembre 2019. (...)
si l’exécutif sort le chéquier pour la réinstallation de grands groupes comme Renault ou Safran, les plus petites entreprises doivent se débrouiller. "Avec la crise, je sais que mes clients vont me demander de créer un site en Europe. Il faut juste que je trouve l’argent", lâche un entrepreneur français installé en Chine, qui ne croit pas à un retour massif des industriels dans l’Hexagone.
Alpha et oméga d’un nouveau modèle économique pour les uns, fausse bonne idée pour les autres, la relocalisation ne sera pas, quoi qu’il arrive, une grande pourvoyeuse d’emplois à court terme. Elle s’accompagne souvent d’une grande robotisation des process de fabrication et d’une montée en gamme. (...)
Et sans coûts de main-d’œuvre trop importants, pour ne pas faire monter les prix. Car si l’opinion publique est désormais acquise à la cause, selon de récents sondages, sera-t-elle prête à payer plus cher pour des produits français ? Les ambassadeurs du made in France se veulent optimistes. (...)
"Ça fait dix ans que je mène ce combat et je peux vous dire que la crise du Covid a été un détonateur. Le pays peut se mobiliser", s’enthousiasme Yves Jégo. L’ancien député Guy Hascoët y voit surtout une lueur dans la crise économique qui s’annonce, la plus violente depuis 1929 : "On va être dans une tempête sociale de force 10. Il faut une accélération pour sortir par le haut."